POURQUOI LIRE Sorrowland ?
- Le livre : c’est le troisième livre de Rivers Solomon (il n’est pas nécessaire d’avoir lu les deux premiers)
- Le décor : les États-Unis face à leur passé (l’esclavage et la ségrégation, les Black Panthers) mais aussi le wild américain
- Le genre : fantasy, horreur, science-fiction, gothique, LGBT… difficile de classer ce roman très riche
- Le style : l’écriture de Rivers Solomon fait mouche, on passe de la violence à la tendresse en quelques phrases, c’est sombre mais très beau
L’HISTOIRE
On suit Vern, 15 ans, noire et albinos, enceinte, qui a fui son village (l’enceinte, le camp ? la communauté religieuse recluse ? je me demande comment cela sera traduit). Dans les bois où elle se cache, elle accouche, seule, de jumeaux. Mais dans la forêt aussi on la traque. Il faudra qu’elle aille plus loin si elle veut enfin être libre. Très vite, elle se rend compte que son corps change, qu’il ne lui obéit pas toujours et en même temps qu’on ne peut pas fuir si facilement son passé, et abandonner les gens qu’on a laissés derrière.
Raconter la sombre histoire
Sorrowland est un livre assez sombre. De nombreux thèmes difficiles sont abordés. Celui qui est peut-être le plus prégnant (et peut-être le plus difficile à supporter, parce qu’aussi le plus graphique dans les descriptions) est la question des atrocités faites aux corps noirs (et notamment aux corps des femmes noires). Alors que dans Les abysses, Rivers Solomon prenait pour point de départ les corps jetés par dessus bord des esclaves mort·es pendant la traversée de l’Atlantique, dans Sorrowland c’est ce qu’on leur a fait endurer une fois arrivé·es aux États-Unis qui l’intéresse. Toute l’histoire américaine du racisme et des violences imprimée à même les corps.
Mais – et c’est tout le génie de Rivers Solomon – l’histoire est transposée dans un monde qui certes ressemble beaucoup au nôtre, mais qui n’est pas exactement le nôtre. Ces thèmes sont partout présents, mais en même temps toujours traités sous un angle différent. Ce n’est pas Liens du sang d’Octavia E. Butler dans lequel celle-ci traitait directement de l’esclavage aux États-Unis dans un récit de sf avec des voyages dans le temps. C’est ici à la fois plus subtil et plus présent, plus réel. Les Black Panthers ont existé, mais l’histoire ne s’est pas terminée exactement de la même façon.
Vern a grandi à Cainland, dans une communauté religieuse très fermée, une secte, où elle et d’autres faisaient l’expérience de troubles importants (du comportement, du sommeil, mentaux). Le médecin de la communauté devait les clouer au lit chaque soir, et les droguer pour qu’ils puissent dormir sans souffrir des maux causés par le poison des Blancs.
Que se passait-il à Cainland ? Et pourquoi le corps de Vern continue de changer alors qu’elle s’est enfuie ? Que va-t-elle découvrir sur le passé de la communauté ? C’est grâce à l’aide de Gogo et Bridget, Native Americans, qu’elle va commencer à comprendre ce qu’elle a vécu et ce qu’ils ont fait d’elle.
« Loving, worshipping, and bowing down to folks who harmed you was written into the genes of all animal creatures. To be alive meant to lust after connection, and better to have one with the enemy than with no one at all. A baby’s fingers and mouth grasp on instinct. »
Sorrowland, Rivers Solomon
Accepter la métamorphose
Pour élever ses enfants et survivre en forêt d’abord, Vern va devoir se surpasser. De jour en jour devenir plus forte pour échapper à ceux qui les cherchent et veulent les ramener à Cainland. La vie en forêt ne ressemble pas à celle de la communauté. Elle est seule avec ses jumeaux, elle est libre. Mais elle doit aussi se débrouiller seule, chasser pour manger, se battre pour rester en vie. La vie en forêt est belle et dangereuse.
Malgré le sujet grave du livre, et le ton horreur-gothique de l’ensemble, il y a des passages magnifique dans la forêt. Quand Vern y élève seule ses enfants, Feral et Howling. Sur la botanique et les plantes qui l’entoure. Sur la liberté des petits sauvages qu’elle éduque comme elle peut. Sur les quelques souvenirs heureux qu’elle a gardés de Cainland, et de son amie Lucy. Des passages de La chambre de Giovanni lus à haute voix en secret.
Mais elle ne pourra pas se cacher éternellement en forêt. Elle doit aller plus loin pour protéger ses enfants. Les protéger d’elle-même. Parce que son corps change et que sa force commence à lui faire peur. Parce que son corps change et qu’elle a peur d’être malade, de ne plus en avoir pour très longtemps.
Il lui faudra alors accepter de l’aide, puis apprendre à fréquenter d’autres personnes à nouveau, elle qui a si souvent été blessée par les gens qu’elle a rencontré. Il lui faudra aussi accepter les changements de son propre corps, puis apprendre à le maîtriser, si elle veut avoir une chance d’arrêter une fois pour toutes le révérend Sherman et ses sbires de Cainland.
« “I like the woods,” she said. “In them, the possibilities seem endless. They are where wild things are, and I like to think the wild always wins. In the woods, it doesn’t matter that there is no patch of earth that has not known bone, known blood, known rot. It feeds from that. It grows the trees. The mushrooms. It turns sorrows into flowers. »
Sorrowland, Rivers Solomon
CE QUE J’EN AI PENSÉ
J’ai adoré le personnage principal – Vern – une femme noire albinos, forte et déterminée. J’ai adoré les personnages des enfants, alors que bien souvent je déteste les enfants en littérature. J’ai adoré ce mélange de SF et de roman gothique historique, de réflexions sur ce qu’on a fait (ou ce qu’on continue de faire) aux corps noirs, de questionnements sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle. J’ai adoré la place centrale donnée au roman La chambre de Giovanni de James Baldwin dans le récit. Mais aussi les références claires à Ursula K. Le Guin, et celles peut-être moins évidentes à Octavia E. Butler.
OÙ TROUVER Sorrowland ?
Sorrowland va être publié en français en mai 2022 aux Forges de Vulcain, qui ont déjà publié ses précédents livres. La date exacte de parution n’est pas encore connue. En attendant, vous pouvez le trouver en anglais chez MCD Books ou Merky Books.
QUE LIRE APRÈS ?
Si ce n’est pas déjà fait, je vous recommande la lecture des deux premiers romans de Rivers Solomon : L’incivilité des fantômes et Les abysses. Je vous recommande également d’autres récits de SF queers dont je vous ai déjà parlé :
- La séquence Aardtman, Saul Pandelakis
- Les tentacules, Rita Indiana
- Agrapha, luvan
Sorrowland, Rivers Solomon est un livre qui se passe aux États-Unis.