POURQUOI LIRE L’autre nom ?
- Le livre : il s’agit des deux premiers livres de la septologie L’autre nom, qui en comptera donc sept au total
- Le décor : la côte ouest de la Norvège, entre un petit village et la ville de Bergen, la neige, les fjords, cette lumière particulière, ça donne vraiment envie d’y aller !
- Le genre : c’est la première fois que je lis un tel livre, très surprenant (voire déstabilisant) dans la forme, mais les thèmes sont ceux qui animent la littérature depuis toujours
- Le style : Tout le roman est composé d’une seule longue phrase (il n’y a donc aucun point), qui donne à l’écriture un rythme si particulier, hypnotique
L’HISTOIRE
C’est l’histoire d’Asle, un peintre, qui rentre chez lui. Il était passé à Bjørgvin (Bergen) chez son galeriste et il rentre dans son village en voiture. En chemin, il passe devant l’appartement de son ami Asle, peintre lui aussi, mais il ne s’arrête pas. Il sait bien qu’il aurait dû s’arrêter, et il se demande pourquoi il ne l’a pas fait. À la place, il stationne dans l’allée d’une vieille maison où il observe un jeune couple jouer avec une balançoire. Tout en les observant, il repense à Ales, sa femme, il repense à la peinture qu’il a commencé de peindre le matin même et il pense à Asle. Nous sommes dans sa tête, ce sont ses réflexions, le rythme de ses pensées, qui forment tout le roman.
Une très très longue phrase (431 pages)
C’est la spécificité du texte, et pourtant j’ai mis un peu de temps avant de m’en apercevoir. Ce n’est qu’après plusieurs pages que j’ai remarqué qu’il n’y avait pas encore eu une seul point. Je ne me suis même pas demandé si ça allait continuer comme ça : j’en étais déjà persuadé. Parce que j’avais compris : les points n’étaient pas nécessaires. Je n’avais pas remarqué plus tôt que je lisais toujours la même longue phrase parce que c’était fluide. C’est assez fou de réussir un truc pareil mais ça fonctionne.
Mieux : ce n’est pas seulement fluide, ça donne un rythme bien particulier au texte. Celui-ci nous entraîne, nous hypnotise presque (c’est sans doute pour ça qu’il m’a fallu de longues minutes pour m’en rendre compte). Mais ça n’est pas non plus qu’un jeu formel pour mieux embarquer lecteurs et lectrices dans l’histoire, ça s’explique par le fait que ce sont les pensées d’Asle qui se déroulent devant nos yeux. Et je sais pas pour vous, mais chez moi les pensées aussi elles font un peu ce qu’elles veulent. Elles tournent en rond, elles se contredisent, elles se répètent, elles sautent du coq à l’âne. Dans L’autre nom, l’écriture magnifique de Jon Fosse fait la même chose. Et c’est beau – comme procédé – mais aussi parce qu’on y trouve les émotions brutes, non réfléchies, non agencées (a priori) et ça fait ressentir les choses différemment à la lecture.
Pour vous donner une idée de ce à quoi ressemble le texte, voici l’incipit (enfin une partie de l’incipit, parce qu’ici il est difficile de faire la différence entre les premières lignes et les dernières) :
« Et je me vois debout face à l’image avec ses deux traits, un marron et un violet, qui se croisent dans le milieu, une image oblongue, je me vois la regarder, et je vois que j’ai peint les traits avec une grande lenteur, avec une épaisseur dans la peinture, qui a coulé, la couleur se mélange à l’endroit où se croisent la petite ligne violette et la marron, avant de couler vers le bas, et je pense que ce n’est pas un tableau, mais en même temps l’image est telle qu’elle doit être, elle est terminée, il n’y a rien à ajouter je pense, et je dois m’en débarrasser, je ne veux plus l’avoir sur le chevalet, je ne veux plus la voir, je pense, et je pense qu’on est aujourd’hui lundi, »
L’autre nom, Jon Fosse
La peinture, la lumière, la vie et la mort
L’autre nom est un livre très riche, qui aborde de très nombreux thèmes. Ces quatre là sont peut-être les plus proéminents (ou alors ce sont ceux qui ont eu le plus d’écho en moi et donc ceux que j’ai surtout retenus). Parce qu’il est peintre, Asle nous fait réfléchir à ce qu’est la peinture, ce qu’est une bonne œuvre d’art, ce qu’il recherche dans son travail. Et chez lui, c’est lié à la lumière. C’est cette quête de la lumière qui définit toute son œuvre.
Et parce qu’il est veuf, parce que son ami le peintre Asle est malade, parce que son voisin Åsleik est seul, il pense souvent à la mort. Et donc il pense souvent à la vie. Et quand il regarde la peinture qu’il vient d’achever il pense à tout ça – la vie, la mort, la peinture, la lumière – en laissant vagabonder ses pensées et ses souvenirs. Il revoit ce couple heureux sur un terrain de jeu. Il revoit deux jeunes enfants qui marchent le long d’une route que leur mère leur a interdit d’approcher. Et je me rends bien compte en disant ça que ça paraît très ennuyeux, alors que c’est tout le contraire qui se produit. Avec des mots simples, des réflexions à la limite du simplisme parfois, Jon Fosse parvient en fait à nous faire réfléchir aux grandes questions existentielles. Et c’est très beau, très pur.
À l’image de ces dialogues où personne ne dit grand chose de très intéressant – et où se faisant, tout est dit :
« Oui, c’est beau, il dit
Blanc et beau, il dit
Tout est devenu blanc, les arbres, les côtes, tout, il dit
Et nous aussi on est devenus blancs, elle dit
Nous aussi on est devenus blancs, il dit
et ils se lâchent la main, et il pose son bras autour de ses épaules, et elle pose son bras dans son dos
Mais c’est triste de penser que la neige va se transformer en gadoue, il dit
On n’a qu’à profiter de la neige pendant qu’elle est là, elle dit
Oui, pendant qu’elle est blanche et fine et belle, elle dit
Car il va sûrement pleuvoir demain, comme d’habitude, il dit
et ils se regardent et ils s’embrassent
Mais pour l’instant on y pense pas, il dit
À quoi on ne pense pas ? elle dit
À la neige qui va se transformer en pluie, il dit
Et qui va ensuite se transformer en gadoue, elle dit
C’est comme ça que ça se passe, oui, il dit
Oui, elle dit »
L’AUTRE NOM, JON FOSSE
CE QUE J’EN AI PENSÉ
J’ai été complètement transporté par cette histoire, ou plutôt par la prose de Jon Fosse. Le rythme particulier apporté par cette longue phrase, les répétitions, les dialogues : tout ça a contribué à faire en sorte que j’aie du mal à lâcher le livre. Et alors que je n’ai rien en commun avec lui, je me suis attaché à Asle. Parce qu’avec ses réflexions tour à tour triviales ou métaphysiques, il ressemble à tout le monde. Il représente une sorte de toile vierge sur laquelle on peut je pense facilement transposer sa propre histoire. Souvent même, j’ai été remué, par les mots ou par ce qu’ils veulent dire je ne sais pas, sûrement les deux en même temps. Et j’ai été triste de refermer le livre, parce que c’était déjà la fin. Mais j’étais aussi heureux, parce que j’avais lu l’un des livres les plus beaux qu’il m’ait été donné de lire depuis très longtemps !
OÙ TROUVER L’autre nom ?
L’autre nom a été publié en français en 2021 par Christian Bourgois. La traduction est de Jean-Baptiste Coursaud. Commandez-le dans votre librairie préférée.
QUE LIRE APRÈS ?
J’attends avec impatience la suite ! J’ai lu les deux premiers livres de la Septologie, j’espère qu’on n’aura pas trop long à attendre la suite ! En attendant, je compte bien lire d’autres livres norvégiens :
- Une maison de poupée, Henrik Ibsen
- Kristin Lavrandsdatter, Sigrid Undset
- La Mort d’un père, Karl Ove Knausgård
L’autre nom, Jon Fosse est un livre qui se passe en Norvège.
Carrere 16 / 11 / 2023
je ferme à l’instant « L’autre nom » de Jon Fosse. Je suis chamboulée par cette expérience littéraire inouïe, déroutante, envoûtante.
j’ai lu votre excellente critique heureuse d’être en phase avec votre ressenti. Et si il y avait un seul mot à retenir ce serait pour moi « Lumière » . Merci de votre partage