Mamammouth, Zachary Schomburg

Mamammouth, comme son titre le laisse à penser, est un livre étrange, très surprenant – et complètement fou ! Ce que le titre ne dit pas, c'est que c'est aussi un premier roman très réussi, très drôle et pourtant très touchant. Zachary Schomburg livre avec cette histoire délicieusement racontée un très beau conte surréaliste sur le deuil et la perte – et sur les choses qui nous permettent de vivre avec.

POURQUOI LIRE Mamammouth ?

  • Le livre : c’est le premier roman de l’auteur américain Zachary Schomburg qui avait déjà publié plusieurs recueils de poèmes avant
  • Le décor : la petite ville de Tarteure, le long de La Cure, non loin de Chapeau-de-Nonne, avec son église Dame-Sang et son usine de cigarettes et bières Tarteure
  • Le genre : Mamammouth est un livre inclassable, très étrange, un OLNI (objet littéraire non identifié) comme on dit parfois dans le monde des avis littéraires en ligne
  • Le style : l’écriture est faussement naïve et hautement poétique, pour mieux nous surprendre et nous toucher avec cette histoire universelle.

L’HISTOIRE

Les gens de Tarteure voient leur quotidien bouleversé quand des morts inexpliquées se multiplient. Certaines personnes – à commencer par Le Barbier, June Good ou la mère de Mano Medium – sont retrouvées mortes avec un trou dans la poitrine. Trou dans lequel on retrouve souvent un objet. Comment expliquer ces morts étranges ? C’est Le Doigt de Dieu ! Le Père Mères III, le nouveau pasteur, exhorte les gens de Tarteure à se libérer de leurs péchés, mais c’est surtout du côté des visiteurs de Chapeau-de-Nonnes que vont venir les solutions : des Humanitaires puis de L’homme d’affaires XO. Mais les nouveaux arrivants vont également chambouler la vie de Tarteure, à commencer par la fermeture de l’usine de fabrication de cigarettes et bières Tarteure, où travaillent tous les enfants de la ville.

Un récit onirique et surréaliste

…ou même complètement barré. Dès les premières pages, le ton est donné. Et moi j’ai tout de suite accroché. Il faut sans doute aimer les récits étranges, accepter de ne pas tout comprendre, avoir un penchant certain pour le what the fuck pour apprécier Mamammouth. Mais si tout ça vous plaît, alors vous allez passer un très bon moment !

C’est complètement barré tout du long, mais chaque partie a également une tonalité propre. C’est barré drôle au début. Puis ça devient barré un peu triste. Et enfin c’est barré perché dans la troisième partie. L’histoire, pleine de métaphores et d’images poético-provocatrices, et surtout la façon dont elle est écrite, dont tout est agencé, fait un peu penser au travail de Dada et des surréalistes, aux jeux de l’écriture automatique et des cadavres exquis.

Mais il ne faudrait pas croire qu’il ne s’agit que d’un jeu littéraire vain. Non, les métaphores servent un propos. Et le ton faussement naïf et enfantin du début change très rapidement, prend un tournant très sombre. Comme dans les contes. Et comme dans les contes, il y a des choses à retenir de cette histoire, qui n’est pas là que pour nous amuser (même si elle le fera aussi). Les images nous donneront une bonne leçon.

« — Tu es prêt ?

— Prêt pour quoi ?

Sisi Medium tira une bouffée de sa cigarette et souffla la fumée dans le nuage au-dessus de la baignoire.

— Le jour de ton anniversaire, tu deviendras un homme.

— Oui, mère.

Mano avait peur de devenir quoi que ce soit, et encore plus un homme.

— Donc, tu es prêt ?

— Non, mère, je ne suis pas prêt.

Elle regardait par la fenêtre.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Comment ça, qu’est-ce que je veux ?

— Pour ton anniversaire.

Sisi n’avait encore jamais offert de cadeau d’anniversaire à son fils. Elle n’avait pas d’argent. Et elle vivait dans sa baignoire. »

Mamammouth, Zachary Schomburg

Une métaphore sur le deuil

…et le poids du chagrin. Comme dans les contes, la métaphore dans Mamammouth n’est peut-être pas des plus subtiles. Mais elle est belle.

[Attention spoilers] Mano Medium récupère tous les objets que les habitants de Tarteure ont trouvé dans les trous laissés par le Doigt de Dieu dans le corps des morts. Il porte ces objets sur lui, parce qu’il se rend compte qu’il les aime. Il porte ainsi sur lui tout le poids de la perte des habitants de Tarteure. Il porte également à lui seul le deuil des survivants, trop occupés maintenant à se pavaner dans leur cage XO et vivre leur vie XO dans la Ville XO. Il emmagasine tout, jusqu’à devenir une personne méconnaissable, un monstre que tout le monde va fuir.

Tout le monde ? Peut-être pas. Il reste des personnes à Tarteure qui se souviennent de Mano Medium et aimeraient le revoir. Lui dire ce qu’elles n’avaient pas réussi à dire lors de leur dernière rencontre. Alors c’est le retour de l’amour. L’amour qui permet de se débarrasser d’un deuil trop lourd à porter. L’amour qui permet de partager les émotions et les responsabilités. L’amour qui n’est pas plus fort que la mort, mais qui permet quand même de continuer à vivre. À apprendre à vivre avec la mort. Ce que les habitants de Tarteure avaient oublier depuis que plus personne ne mourait du Doigt de Dieu.

« Avec ses nouvelles lunettes, Mano distinguait toutes les plus petites choses à travers la vitrine. Il voyait la poussière des cheveux sur les tabliers, qui étaient accrochés à un portemanteau au fond de la salle. Des peignes flottaient dans un bocal de liquide bleu clair, sur le comptoir devant la glace, et les ciseaux étaient suspendus à leur place le long du mur. Il voyait les rasoirs aussi. Puis il crut voir un homme debout dans la pénombre, dans le fond, mais c’était son propre reflet dans une autre glace tandis qu’il regardait à travers la vitrine. La vacuité du salon de coiffure devait paraître bien différente pour Inez. Pour elle, les salles vides signifiaient que le monde se terminait, mais pour Mano, des salles vides comme celle-ci lui donnaient l’impression que le monde en était à sa première page. Mano connaissait l’amour maintenant. C’était juste l’espoir rendu visible. Maintenant, le monde paraissait un brin du plus vaste, et de la meilleure des façons, assez vaste pour qu’on y entre complètement. »

MAMAMMOUTH, ZACHARY SCHOMBURG

CE QUE J’EN AI PENSÉ

J’ai adoré cette lecture ! Dès les premières pages j’ai été emporté. Par cette histoire très surprenante – on ne s’ennuie pas une seule seconde – et par ses personnages très attachants. Et surtout par cette écriture étrange, tour à tour malaisante ou très belle. Ça m’a peut-être surtout tant plu parce que je rapprocherai Mamammouth du genre du conte. Une belle histoire qui file de nombreuses métaphores pour mieux nous parler des thèmes les plus importants de la littérature depuis toujours : l’amour et la mort.

Bref, c’est une très belle découverte, et je ne manquerai pas de lire les prochains livres de cet auteur très prometteur. D’autant que sur Goodreads, tous les livres de l’auteur ont l’air de faire l’unanimité.

OÙ TROUVER Mamammouth ?

Mamammouth (Mammother) a été publié en français aux éditions Chambon. La traduction est de Nicolas Richard. Commandez-le dans votre librairie préférée.

QUE LIRE APRÈS ?

Mamammouth une expérience de lecture très intéressante et j’aimerais continuer à lire d’autres livres tout aussi surprenants. Je vais chercher de nouveaux titres qui s’en approchent. Je vais essayer de mettre la main sur les recueils de poésie de Zachary Schomburg, commençant peut-être par The Man Suit.

En attendant, je vous conseille ces autres livres, surprenants également, et tout aussi enthousiasmants :

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