De parcourir le monde et d’y rôder, Grégory Le Floch

De parcourir le monde et d'y rôder est un livre comme je n'en lis pas assez : un livre drôle. Avec cette histoire loufoque, Grégory Le Floch nous emmène dans un voyage déjanté à travers le monde et la narration, s'amusant avec les règles et la bienséance. Un récit parfaitement maîtrisé qui promet un très bon moment de lecture !

POURQUOI LIRE De parcourir le monde et d’y rôder ?

  • Le livre : c’est le second roman de l’auteur, après le remarqué Dans la forêt du hameau de Hardt aux éditions de l’Ogre
  • Le décor : on suit le narrateur de Paris à Vienne, on décide au dernier moment de ne pas partir en Israël et on se rabat sur New York
  • Le genre : De parcourir le monde et d’y rôder est une quête, le narrateur cherche des réponses et espère que chaque personne rencontrée pourra l’aider
  • Le style : c’est drôle, c’est complètement barré et c’est pourtant d’une maîtrise incroyable

L’HISTOIRE

Un homme trouve un objet dans la rue. Il ne sait pas ce que cette chose qu’il tient dans sa main peut être, alors il demande aux passant·es. Personne ne lui répond. De voyages en rencontres, chaque nouvelle personne interprète différemment l’objet qu’il tient dans sa main. Chacun a son propre avis, mais aucun n’est le bon. Ce n’est qu’après moult aventures qu’il se rendra à l’évidence : il savait depuis longtemps de quoi il s’agissait.

La chose et ses interprétations

Toute l’histoire de De parcourir le monde et d’y rôder tourne autour de la chose et des différentes interprétations que les gens en font. Mais on ne saura qu’à la toute fin du roman, dans les derniers mots, ce que cette chose est. La question du coup est : est-ce même important ? Ce n’est pas tant la chose qui intéresse ici le narrateur – et de moins en moins le ou la lectrice –, mais le voyage, les rencontres, les péripéties que cette chose amène le personnage à accomplir.

Cette chose décrite pourtant avec précision par le narrateur dans les premières pages invitent à toutes sortes d’interprétations les plus diverses et farfelues. Chaque personnage voit dans la chose ce qu’il veut y voir. Serait-ce une idée finalement plus profonde que la futilité de l’intrigue laisserait à première vue présager ? La chose est une métaphore, c’est évident. La chose en dit long sur ce que nous sommes, sur la façon dont nous interagissons avec les autres et gérons nos vies. Mais la chose est aussi l’occasion pour l’écrivain de jouer avec les lecteurs et lectrices. Avec la chose, on saute du coq à l’âne, on passe des forums d’internet au musée de Freud, d’une boucherie juive non kosher de Vienne à une troupe de freaks sur les toits de New-York.

« Je marchais sur le trottoir, donc, empêché par la foule d’avancer, quand une chose au sol a attiré mon regard.

Je me suis penché, ai ramassé cette chose et l’ai approchée de mes yeux pour l’examiner. Mon cœur battait fort de ne pas savoir ce que je venais de découvrir et qui ressemblait – sans l’être – à une sorte de pièce de monnaie, molle et irrégulière, ou plutôt à un petit organe de souris, comme un estomac ou une rate. Je me suis dit que cette chose devait être un objet de valeur, un objet important, qu’un passant – pour tout un tas de raisons – venait de faire tomber de sa poche, et j’ai aussitôt arrêté la femme qui marchait devant moi pour lui montrer l’intérieur de mes mains. »

De parcourir le monde et d’y rôder, Grégory Le Floch

La littérature comme jeu

Je pourrais vous parler des références littéraires qui sont peut-être évidentes pour d’autres, mais entre nous, je ne les maîtrise pas. Je ne connaissais pas Orly Castel-Bloom (j’ai noté Dolly City et Où je suis), je n’ai pas encore lu László Krasznahorkai (je veux lire La mélancolie de la résistance). J’ai pensé pour ma part à Edgar Hilsenrath pour l’humour et le ton décalé, et à Kafka pour l’incompréhensible folie du narrateur. Mais quand on dit ça, on n’a pas dit grand chose. Laissez-moi plutôt vous expliquer ce que j’ai ressenti :

Grégory Le Floch joue avec la narration pour mieux nous mener par le bout du nez. Longues phrases, digressions, notes de bas de page, didascalies et répliques de théâtre, ce récit semble hors de tout contrôle. On se dit à plusieurs reprises que le narrateur a perdu les pédales, que le roman est en train de partir en vrille, alors on s’accroche plus fort au livre en espérant éviter l’accident. Et évidemment, il n’arrive pas. Parce que tout ça était un leurre. L’auteur sait très bien où il veut nous emmener. Ce voyage loufoque et chaotique, c’était son petit jeu. Pour qu’on s’amuse ensemble de la narration. Et ça fait du bien de jouer et de rire ! La lecture peut-être sérieuse et importante, mais elle peut aussi être légère et divertissante ! Ça me plaît cette idée : un récit comme un voyage hasardeux et improbable, beau comme seules peuvent l’être les aventures qui s’affranchissent du réalisme.

« Mais la femme ne m’a ni répondu ni regardé et, tout en s’écartant, elle a accéléré le pas pour s’éloigner¹.

1. J’ai bien conscience de l’impolitesse qu’il y a à interrompre un récit à peine commencé – d’autant plus que, par cette note, je ne compte pas apporter d’éléments nécessaires à sa compréhension ou à son développement –, si bien qu’il serait peut-être plus judicieux pour le lecteur de l’ignorer et de passer outre. Mais il me semble capital que soit formulée ici et de façon catégorique l’impardonnable culpabilité de cette femme qui, me voyant les mains tendues vers elle, n’a pas jugé bon de me répondre et, quand bien même elle n’aurait pas su, à l’instar de beaucoup d’autres dans la suite de mon récit, identifier la nature exacte de cette chose, elle aurait moralement dû me répondre, ne serait-ce que par un mot, et quand bien même elle n’aurait pas su lequel, elle n’avait qu’à en prononcer un, au hasard, plutôt que de m’infliger le silence et l’indifférence, car, en ne répondant rien et en ne me regardant pas, elle a ouvert en moi une faille, une béance qu’un humain ne devrait jamais ouvrir chez un autre humain, au risque d’en faire un monstre. »

DE PARCOURIR LE MONDE ET D’Y RÔDER, GRÉGORY LE FLOCH

CE QUE J’EN AI PENSÉ

J’ai lu De parcourir le monde et d’y rôder d’une traite. Je n’ai pas pu le reposer. Je voulais à tout prix, comme le narrateur, trouver des réponses à ses questions. Je me suis laissé entraîné par ce récit loufoque, drôle, parfois complètement dérangeant. Les phrases qui n’en finissent plus, les digressions et les notes de bas de page me perdaient et m’enchantaient : j’étais englué dans ce roman.

Ce n’est peut-être pas un livre qui plaira à tout le monde. On peut s’y perdre, on peut peut-être décrocher. Mais si on se laisse porter par ce récit surréaliste, on finit par en savourer chaque moment. Et de vouloir, une fois les dernières lignes lues, le reprendre depuis le début !

Oh et je ne parle jamais de ça : mais je trouve le travail de l’illustratrice María Medem remarquable. De la couverture aux illustrations à l’intérieur du livre, c’est une réussite !

OÙ TROUVER De parcourir le monde et d’y rôder ?

Le roman de Grégory Le Floch est sorti le 20 août chez Christian Bourgois éditeur. Il a déjà obtenu le Prix Transfuge Découverte 2020. J’espère que vous le trouverez chez votre libraire.

QUE LIRE APRÈS ?

J’ai maintenant très envie de découvrir le premier roman de Grégory Le Floch : Dans la forêt du hameau de Hardt, aux éditions de l’Ogre.

Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas lire les deux autres romans de la rentrée littéraire 2020 de Christian Bourgois éditeur ?

De parcourir le monde et d’y rôder, Grégory Le Floch est un livre qui se passe aux États-Unis, en Autriche, en France.

2 Commentaires

  1. Elisabeth Pluquet 14 / 09 / 2020

    Ce livre a l’air sympa, je vais jeter un oeil merci 🙂

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