La séquence Aardtman, Saul Pandelakis

Avec La séquence Aardtman, Saul Pandelakis a écrit de la très bonne sf où on retrouve des robots, des gens qui voyagent dans l’espace mais aussi une réflexion actuelle et passionnante sur les corps (les corps humains et les corps bots) et où les deux protagonistes sont des personnages trans, fait tellement rare qu’il faut le noter !

POURQUOI LIRE La séquence Aardtman ?

  • Le livre est écrit par Saul Pandelakis, un auteur trans français à suivre très attentivement après cet excellent premier roman
  • Le décor : on voyage (c’est le cas de la dire) entre une Terre future et le bord d’un vaisseau spatial loin, très loin de nous
  • Le genre : c’est de la sf comme je les aime : barrée mais intelligente, qui se lit très vite et très bien mais qui fait aussi pas mal réfléchir
  • Le style : l’alternance des chapitres et des points de vue, et une écriture actuelle, rendent le texte très fluide et vivant

L’HISTOIRE

C’est l’histoire de deux personnages, Roz et Asha. Dans un monde futur, il n’y a plus tant d’humains que ça sur Terre et les bots, depuis les lois d’autonomie, ont pris l’avantage dans une société capitaliste régie par un système de points. Asha est sur Terre, Roz dans l’espace. Parce qu’en même temps, des vaisseaux spatiaux explorent l’univers pour trouver de nouvelles planètes habitables.

Et si le plus important n’était pas la quête

D’un côté on suit Roz, un homme trans. Il est à bord d’ari-me, un vaisseau spatial, avec les autres choisi·es pour explorer l’espace. Dans ce vaisseau autogéré, Roz s’occupe du programme de l’IA (Alex) qui les guide et les aide à vivre au quotidien. La tête dans les codes toute la journée, il évite de penser à la Terre et à celles et ceux qu’il a laissé loin derrière lui. Mais alors que c’est son tour d’être en cuisine (la tâche qu’il aime le moins à bord), tout va changer quand un accident va bouleverser le quotidien d’ari-me.

De l’autre on a Asha. C’est une bot trans qui étudie les corps bots (la question de l’incarnation, des ressentis et de l’espérience corporelle) et milite dans un groupe qui veut promouvoir la lutte commune (mais d’abord la communication et la bonne entente) des humains et des bots. Pour elle aussi tout va changer quand deux de ses ami·es bots vont l’obliger à repenser la question de la corporalité des bots.

Et ça donne des personnages principaux si attachants ! Alors que je n’ai a priori rien en commun avec Asha et Roz, je me suis facilement identifié, et je peux même avouer un crush pour Roz. Son côté geek, le nez dans le code, écoutant Björk et Sigur Rós, qui détonne avec les scientifiques qu’on croise en général en sf m’a beaucoup plu !

Les deux ne vont jamais se rencontrer, mais iels vont entrer en contact. Et c’est sans doute ça le plus important pour l’auteur. Pas la quête spatiale à laquelle Roz a donné sa vie. Pas la thèse – la note qu’Asha essaie d’écrire. Pas même sans doute l’enquête qu’iels vont mener ensemble pour comprendre qui a pris la place d’Alex a bord du vaisseau. Mais le dialogue, la rencontre entre humains et bots, comment tout le monde a tout à gagner à enfin se regarder en face, se parler et continuer à avancer ensemble.

« Comme ils avaient été impressionnés lorsqu’on leur avait fait visiter ari-me. Toutes les surfaces flambant neuves, et un petit côté Noël avec ces promesses de pièces à vivre, ici la cantine, les cuisines, ici les blocs, là la physio, les jardins… La démo du cyclus avait même déclenché quelques oh et ah. […] Personne n’était dupe dans l’équipe, et c’est ce qui avait plu à Roz. Ils n’étaient pas des élus. Les missions n’étaient pas assez nouvelles pour attirer des stars, et plus assez suicide pour attirer des héros. Le temps où les expéditions drainaient les premiers de la classe semblait tout à fait révolu. Passé le troisième décollage, ça avait commencé à sentir la routine. Peut-être pour cette raison, l’équipe du ari-me avait été plus inclusif, divers, que les trois précédents réunis. Roz avait signé. Il en avait fini avec la Terre. »

LA SÉQUENCE AARDTMAN, SAUL PANDELAKIS

Les robots ont un corps

On retrouve dans La séquence Aardtman des réflexions classiques sur les robots et l’éthique robotique (une constante depuis le cycle des robots d’Asimov), la recherche de nouvelles planètes habitables, les voyages dans l’espace et toute la dimension scientifique et/ou politique de ces questions.

Mais l’auteur va plus loin. Parce que la question robotique est dans ce livre liée à la question du corps (ça peut paraître idiot mais dans tous les livres de sf que j’ai lu jusqu’à présent c’était pas le cas, les robots avaient le plus souvent un corps, mais on n’en parlait pas vraiment, comme si les robots n’avaient pas de corps, ou que celui-ci ne changeait rien, n’avait aucun impact sur leur être). Un peu comme Ursula K. Le Guin aurait pu le faire si elle s’était intéressée aux robots (plutôt qu’aux extra-terrestres ou aux clones), Saul Pandelakis s’intéresse au corps des robots et à ce que ça implique de leur façon d’être au monde et leur rapport aux humains. Le corps et le genre (notamment la question de la transition), le corps et le sexe (relations entre robots, entre humains et bots), le corps et le travail (capitalisme et main d’œuvre humaine vs. bots), le vieillissement des robots, l’ « entretien » de leur corps, leur mise en marche/leur « naissance » corporelle, leur « venue au monde » etc., et tout est cohérent et fonctionne !

Et évidemment, cette question du corps des robots est aussi l’occasion de nous faire réfléchir à toutes ces questions concernant nos corps à nous, les corps humains, aujourd’hui ou dans le futur. Les représentations de genre par exemple, ou les questions de transidendité et de transitions. Mais aussi notre finitude, ou la question du dépassement de nos corps, des cyborgs (parce que les corps des robots eux peuvent être sans cesse améliorés).

« Elle aurait pu écrire en veille physique : placer son corps en station figée, assise ou allongée, pour dédier toutes ses ressources disques à l’écriture. Ainsi installée chez elle, elle aurait pu dérouler les phrases de son écrit, directement sur la membrane de ses process, et enregistrer un fichier texte auto-hébergé. Mais Asha n’avait jamais réussi à être en ligne avec ces actions pourtant typiquement bot. Il y en a d’ailleurs quelques uns, présentement dans le café, qui se tiennent droits comme des piquets, les yeux occultés par un voile blanc indiquant la veille corporelle nécessaire aux process autonomes. Qu’est-ce qu’elle avait pu s’engueuler à la fac, avec ses camarades qui défendaient ces manières d’être, ces manières de faire. Clelia, bot, trans elle aussi, lui avait donné les conversations les plus animées qui soient sur le sujet. Asha la revoit encore : je ne te comprends pas, Ash. Tu vas finir ta thèse en 3 ans, comme une humaine… »

LA SÉQUENCE AARDTMAN, SAUL PANDELAKIS

CE QUE J’EN AI PENSÉ

J’ai pas peur des grands mots : c’était une de mes lectures préférées de l’année 2021 ! Un véritable coup de cœur ! J’ai a-do-ré ! C’est pas sans petits défauts (j’ai trouvé le début peut-être un peu lent, c’est pas forcément facile de rentrer dans l’histoire), mais c’est quand même incroyable, surtout pour un premier roman ! Et puis surtout ça devient de mieux en mieux au fil des chapitres. Le rythme va crescendo et à un moment je ne pouvais plus lâcher le livre. Et les 100 dernières pages, je les ai lues avec comme un coup au cœur : vous savez ce moment où tout s’emballe et où vous n’arrivez pas à vous décider entre finir le livre au plus vite et faire des pauses pour mieux le savourer.

OÙ TROUVER La séquence Aardtman ?

La séquence Aardtman a été publié aux éditions Goater. Vous le trouverez sans doute dans les librairies dédiées aux livres de l’imaginaire. Vous pouvez aussi vérifier s’il est disponible dans une librairie près de chez vous.

QUE LIRE APRÈS ?

Je compte bien continuer de lire dans la collection Rechute des éditions Goater. J’ai déjà repéré les titres suivants :

  • Parle comme un homme et autres textes de Nisi Shawl
  • L’athée du grenier de Samuel R. Delany
  • et bien sûr un Ursula K. Le Guin (mais que je ne connaissais pas) : La fille feu follet.

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