POURQUOI LIRE Le bal des folles ?
- Le livre : publié en 1977, il est enfin réédité en poche dans la collection Titres de Christian Bourgois (à ne pas confondre avec le roman du même nom de Victoria Mas)
- Le décor : le Paris des folles des années 1970, et ses lieux emblématiques, l’Alcazar et le Pimm’s, mais aussi l’Ibiza baba-cool et le New-York branché
- Le genre : je ne sais trop comment classer ce livre : il y a des meurtres, il y a du sexe, des voyages, un livre dans le livre… ça part dans tous les sens, c’est déjanté, c’est très drôle
- Le style : la syntaxe peut surprendre au début, Copi était argentin et il écrivait dans un français qui n’était pas toujours correct, mais c’est aussi ce qui fait tout le charme de cette écriture fleurie et vivante
L’HISTOIRE
C’est l’histoire d’un auteur, qui n’est autre que Copi. Celui-ci vit désormais sans Pierre, un beau Romain devenu·e belle Parisienne. Il écrit un livre et revient sur leur histoire. C’est sa façon de se remémorer Pierre, qui est mort·e et qui lui manque. « Oui, il était très bête, en effet, et très beau. » Mais revenir sur cette histoire follement rocambolesque, c’est aussi l’occasion de décrire le Paris interlope de cette époque, de mettre en scène des personnages hauts en couleur, comme Marylin et sa bande, inspirées par les Gazolines, ou encore la foule étrange des hippies qui se retrouvent à Ibiza.
Le bal des folles c’est de nombreuses histoires qui se croisent, qui ne trouvent pas toutes une fin, avec un roman dans le roman et d’autres chapitres ajoutés qui s’enchevêtrent. C’est complètement fou.
Le tableau d’une époque
La première chose qui m’a attiré vers ce livre, c’est son décor et ses personnages. C’est à dire le Paris homosexuel des années 1970, avec ses bars, ses boîtes de nuit et ses saunas. J’avais bien sûr déjà entendu parler de certains endroits – Chez Régine, chez Castel – des lieux de drague aussi – les pissotières, les Tuileries –, mais c’est une période que je connaissais finalement assez peu.
Pareil du côté des personnages. Il y avait bien sûr les numéros de transformistes comme on les appelait à l’époque, et la faune des bars, des gigolos, des garçons, et certaines pratiques sexuelles peut-être plus visibles qui changent le look de certains (l’omniprésence du cuir). J’ai déjà entendu parler des Gazolines, mais je ne les avait jamais vues sous cet angle. Ici, pas de militantisme, juste une communauté, qu’on voit très rarement représentée en littérature.
Je voulais découvrir cet univers, je n’ai pas été déçu par Le bal des folles. Je connaissais le Paris interlope de Francis Carco, j’ai maintenant une meilleure idée de celui de Copi. D’autant que la postface de Thibaud Croisy nous éclaire également sur le projet de Copi : dresser un tableau du monde de la nuit de l’époque, parce que celui-ci est en train de changer. En effet, les anciens lieux phares du Paris gay des années 60 sont désormais en concurrence avec les établissements de la rue Sainte-Anne. Ce que nous raconte Copi est en train de disparaître, et c’est peut-être pour ça que l’auteur du roman dans le roman s’acharne à tout détruire autour de lui.
« Mais pour ça il faut que je te raconte la vie sociale homosexuelle à l’époque à Saint-Germain. Je la connais, me répond mon éditeur. Tu ne connais rien du tout. Tu es allé peut-être dîner au premier étage du Fiacre, c’est tout. Mais moi j’ai passé des années à draguer au bar du rez-de-chaussée avant de faire les pissotières pour finir au petit matin à La Pergola. Et ensuite, aux Tuileries, faire les premiers levés qui sentent encore l’after-shave. […] Ça me paraît une bonne idée que tu écrives un roman sur les homosexuels, tu connais le sujet à fond. Un roman sur les homosexuels ? Pierre dans un roman sur les homosexuels ? Je suis indigné. Je sors de chez mon éditeur avec la décision de ne pas l’écrire. »
Le bal des folles, Copi
Une écriture jouissive
Il y a tellement de niveaux de lecture différents possibles dans Le bal des folles. Plusieurs registres qui se mêlent et s’entremêlent et qui font que ce livre est génial.
Aux lieux et personnages bien réels (Copi et son éditeur, son amie Marielle), sont superposés d’autres lieux et d’autres personnages imaginés. Loufoques même. Complètement barrés. Une louve qui élève des enfants, un boa comme animal de compagnie, des appartements qui changent au gré des besoins du récit… C’est la trame narrative du livre dans le livre qui se déroule, emportée par une imagination débridée. Le truc, c’est qu’on ne sait jamais trop ce qui est vrai ou non, ce qui se passe dans l’histoire qui nous est racontée ou dans le livre qui s’écrit tout seul. C’est ça qui est fort : on accepte tous les rebondissements, même les plus burlesques.
Toutes ces aventures sont très drôles. On ne répétera jamais assez comme ce roman est drôle. Mais ce n’est pas qu’une question de ton, de liberté d’expression. Ce serait facile de dire qu’à l’époque de Copi on pouvait encore rire de tout, ce qui ne serait plus le cas maintenant, etc, vous connaissez la chanson. Ce qu’on oublierait de dire alors c’est que Copi est drôle parce qu’il est intelligent. On accepte les aventures invraisemblables du livre parce qu’elles ont un sens. Elles ne tombent pas comme un cheveu sur la soupe. Elles sont amenées par les mots mêmes. Comme avec le boa, ce truc en plumes qui devient un animal qui estropiera l’écrivain. L’humour chez Copi vient du jeu. Il ne s’agit pas de se moquer, il s’agit d’avantage de faire des pitreries pour amuser la galerie. Cette liberté, c’est celle qui est permise quand on s’émancipe de la langue elle-même, du sens des mots, de l’ordre des choses. Une telle émancipation, ça donne un tel roman, libre, libertin même, licencieux, jouissif.
« Le fait d’avoir fini le roman me rassure, c’est comme si je m’éveillais d’un cauchemar. Je me demande quelle impression je vais en avoir quand j’aurai à corriger les épreuves de page, est-ce que le lecteur soupçonne que j’oublie tout ce que j’écris ? En tout cas bon débarras, un roman de plus, une avance de plus. Mon éditeur va dormir tranquille au moins pendant une semaine jusqu’à ce qu’il m’en exige un autre. Peut-être il n’osera plus, il aura peur que la prochaine fois je le tue pour de bon. »
LE BAL DES FOLLES, COPI
CE QUE J’EN AI PENSÉ
J’ai adoré ! J’ai tellement ri ! Il y a une liberté, une audace, un ton qu’on aimerait voir plus souvent dans les romans. Ce livre a été écrit en 1977 et pourtant il y a une fraîcheur dans cette histoire, dans les personnages et dans la façon dont ils sont mis en scène, qui fait un bien fou. C’est un livre libertaire et libérateur.
Ce livre mérite autant d’être lu pour le tableau qu’il dresse d’un certain monde de la nuit gay en train d’évoluer à la fin des années 1970, que pour l’extraordinaire inventivité de l’auteur, cette imagination fantasque qui vous fera rire tout au long de la lecture.
OÙ TROUVER Le bal des folles ?
Après l’avoir publié à sa sortie, c’est de nouveau Christian Bourgois qui réédite Le bal des folles dans sa collection de poche Titres. Vous le trouverez sans mal dans toutes les bonnes librairies.
QUE LIRE APRÈS ?
J’ai bien envie de continuer à découvrir l’auteur ! Prochaine étape, me frotter au théâtre de Copi, avec la pièce Eva Peron.
Je ne sais pas trop à quoi rapprocher Le bal des folles, c’est un roman si inclassable. Dans le genre assez barré aussi, je recommande tout de même :
- Mamammouth, Zachary Schomburg
- De parcourir le monde et d’y rôder, Grégory Le Floch
Et dans la postface, il est fait mention de Warum de Pierre Bourgeade, que je ne connaissais pas et qui du coup m’intrigue.