Liminal, Jordan Tannahill

Liminal est le premier roman de l’auteur canadien Jordan Tannahill. C’est un roman très original et très bien écrit, qui nous entraîne dans un voyage à travers le monde et à travers les différentes croyances et théories sur la mort, l’âme et le corps, et les limites de celui-ci. Théories scientifiques, expériences artistiques, performances queers, Jordan Tannahill s’affranchit des limites pour répondre à la question suivante : la mère du narrateur est-elle morte ou vivante ?

Pourquoi lire Liminal ?

  • Le livre : Liminal est le premier roman de l’auteur canadien Jordan Tannahill, traduit de l’anglais au français (Québec) et publié chez La Peuplade.
  • Le décor : on voyage beaucoup d’Ottawa, à Toronto, à Montréal, en passant par la Bulgarie, Londres et dans un road trip à travers les États-Unis.
  • Le genre : c’est un roman composite où se mélangent réflexions métaphysiques, recherches scientifiques et performances queers, le tout entre autofiction et odyssée milléniale.
  • Le style : la langue de Jordan Tannahill est moderne, vivante, drôle et entraînante. On lit ce livre rapidement, comme en apnée.

L’histoire

Le samedi 21 janvier 2017, la mère du narrateur (qui s’appelle également Jordan) ne se réveille pas. Il attend, elle mérite bien une grasse matinée. Puis il s’inquiète : sa mère ne s’est-elle pas plainte d’un mal de tête en allant se coucher ? Elle a déjà fait un accident ischémique transitoire, il devrait aller la voir. Mais il attend encore : tant qu’il ne va pas vérifier, sa mère est en même temps vivante et morte. Comme dans l’expérience du chat de Schrödinger.

Il finit par ouvrir sa porte à 11h04 et là il voit son corps. Est-elle vivante ? Est-elle morte ? Pendant cette minute où il l’observe, Jordan se remémore leurs souvenirs, leurs réflexions et discussions, sa propre relation à son corps et aux corps des autres et à sa propre peur de la mort. Tout le roman est concentré dans cette minute, et nous embarque dans une histoire folle entre métaphysique, sciences et art, aux frontières de la vie et de la mort, quand nos personnes deviennent des corps.

En même temps morte et vivante

C’est non seulement le point de départ – l’idée géniale – de Liminal, mais c’est en fait tout le livre qui se base sur cette idée : la mère du narrateur est vivante et morte. Tant qu’il ne va pas vérifier son pouls, essayer de la réveiller, tant qu’il la regarde de loin, sa mère est dans cet entre-deux.

« Je regarde ton corps et suis incapable de le concevoir. Pourquoi ? Il est dans un entre-deux. Je n’arrive pas à la comprendre parce qu’il est pris entre deux possibilités distinctes :

a – Tu es endormie ;

b – Tu es morte. »

Liminal, Jordan Tannahill

Liminal commence sur cette possibilité inconcevable, qu’un jour, parce qu’elle ne se réveille pas, sa mère, ma mère ou votre mère soit morte pendant la nuit. Le narrateur préfère au début la laisser dormir, ne veut pas ouvrir la porte. Parce que tant qu’il ne va pas vérifier, elle est morte ou vivante. Comme le chat dans l’expérience de Schrödinger. Et le narrateur de nous réexpliquer ce concept, que sa mère lui avait expliqué quand il avait huit ans.

Pourtant, il va entrer dans la chambre de sa mère. Ou plutôt il va ouvrir la porte et rester sur le seuil. Mais le doute persiste :

« Que tu soies endormie est assurément la plus probable des deux possibilités. Après tout, toutes les autres fois où j’ai pénétré dans ta chambre pour te retrouver dans ton lit, tu étais vivante, tu respirais, dormais, rêvais, ou étais assise en train de lire, de parler au téléphone, de pleurer, de te couper les ongles, ou simplement perdue dans tes pensées. À tous les autres moments de ma vie, tu étais vivante, un nombre infini de moments vivants, pourquoi celui-ci devrait-il être l’exception ? »

Liminal, Jordan Tannahill

La mort, la foi, les corps

Pendant que Jordan regarde sa mère, pendant qu’il observe son corps de loin, pendant cette longue minute, des souvenirs lui reviennent. Il pense à sa mère, aux discussions qu’ils ont pu avoir sur sa foi à elle, son absence de foi à lui. Sur son travail à elle – scientifique reconnue – sur la conscience. Et de fil en aiguilles, il déroule tous ses souvenirs, qui lui permettent de mener une réflexion sur l’âme et le corps, sur ses limites, sur le moment où notre corps, notre enveloppe vivante, devient un corps mort, un cadavre.

Ça commence avec leurs souvenirs communs, les discussions qu’ils ont eu entre eux, des événements qui se sont passés quand il était petit. Et puis, en revenant sur d’autres moments de sa vie alors qu’il grandissait et devenait l’homme qu’il est aujourd’hui, Jordan invoque d’autres théories sur la conscience, les films qu’il a vus, la pratique du théâtre, des recherches scientifiques sur les robots, sa propre expérience à son corps et aux corps des autres, ses amants, ses amies, le corps comme expérience, le corps comme transcendance, Thérèse D’Avila, la notion d’abjection de Julia Kristeva, etc. pour réfléchir sur les limites du corps, entre corps vivant et corps mort. Pour peut-être finir par comprendre ce qui le fascine et lui fait peur avec cette idée de corps.

« En fin de compte, il semble que la croyance commune en un toi essentiel et immortel, dont la destinée est déterminée par les actions posées au cours de cette vie, constitue un point commun beaucoup plus profond entre les différentes formes de foi que les déviations superficielles de dogmes et de coutumes qui les séparent. En revanche, la non-croyance en l’âme et en la vie après la mort est quelque chose de complètement différent. D’insurmontable. C’est comme si tous les croyants du monde étaient dans une fête en train de s’engueuler au sujet de la couleur du chapeau de fête qu’ils devraient mettre, pendant que les athées font leur propre fête dans la pièce voisine en dansant sur du Madonna. Maman, j’ai peur que nous soyons dans deux fêtes fondamentalement différentes. »

Liminal, Jordan Tannahill
Liminal de Jordan Tannahill
Photo pour instagram de Liminal de Jordan Tannahill avec lentilles beluga et blettes roses

Ce que j’en ai pensé

J’ai été époustouflé par ce livre ! Le point de départ est original et l’idée est très bien menée du début à la fin. Je ne me suis pas ennuyé une seconde pendant ma lecture ! C’est beau, c’est touchant, c’est drôle parfois et triste souvent. Et c’est si intelligent. Lire Liminal, c’est se surprendre soi-même à réfléchir à toutes les questions posées par le narrateur. Qu’on croie en Dieu, en l’âme, ou aux progrès de la science, aux bienfaits de l’art, on réfléchit avec Jordan aux implications de toutes nos croyances quand arrive ce moment tragique : sa mère est-elle morte dans la pièce à côté ? Son corps est-il devenu un simple corps, c’est à dire un cadavre ?

C’est également très bien écrit et je m’empresserai de lire les prochains livres de Jordan Tannahill !

Où trouver le livre Liminal ?

Le livre Liminal a été publié en français en septembre 2019 aux éditions La peuplade. La traduction est de Mélissa Verreault. Vous le trouverez dans toutes les bonnes librairies.

Que lire après ?

Si vous voulez découvrir d’autres premiers livres de jeunes auteurs et autrices LGBTQI, qui interrogent d’ailleurs également la place des corps, je vous conseille absolument de lire :

Liminal, Jordan Tannahill est un livre qui se passe au Canada.

2 Commentaires

  1. Ben 04 / 05 / 2020

    Wow ! Un grand merci pour cette découverte, j’ai dévoré Liminal. D’une situation qui semble originale, mais en même temps si ordinaire et réelle, l’auteur tisse toutes les réflexions autour du corps, vivant, mort, entre les deux… Et tout du long une banalisation du queer, tellement agréable.
    Je suis tombé sur ton blog par hasard, et vais continuer de fouiller pour trouver pareilles pépites !

    • Florian 06 / 05 / 2020 — Le Dévorateur

      Oh ça me fait énormément plaisir ! J’espère que tu trouveras d’autres livres qui pourraient t’intéresser ici alors 🙂

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