La vallée de l’éternel retour, Ursula K. Le Guin

La vallée de l'éternel retour est un livre surprenant, dense, intelligent et enchanteur. Avec cet ouvrage d'anticipation, composé de textes épars, Ursula K. Le Guin nous donne à lire la vie, les traditions et les croyances du peuple Kesh. Les Kesh n'existent pas – ou ils n'existent pas encore. L'autrice les imagine vivant dans une Caroline du Nord future. Sous sa plume, ils deviennent bien réels et font de ce livre une petite merveille hybride, entre poésie et anthropologie.

POURQUOI LIRE La vallée de l’éternel retour ?

  • Le livre : La vallée de l’éternel retour est un livre qui ne ressemble à aucun autre. Est-ce de la science-fiction ? Est-ce de la poésie à l’état pur ? C’est en tout cas un chef-d’œuvre.
  • Le décor : la Californie submergée suite à une ou des catastrophes, située environ 500 ans dans le futur.
  • Le genre : entre étude anthropologique, nouvelles, légendes, poèmes, chants, pièces de théâtre, chapitres de romans, Ursula K. Le Guin mélange tous les genres.
  • Le style : je suis complètement amoureux du style de Le Guin. Dans La vallée de l’éternel retour, la dimension chamanique rend son écriture encore plus poétique.

L’HISTOIRE

Il n’y a pas d’histoire proprement dite dans La vallée de l’éternel retour –  ou plutôt il y en a plusieurs. Car ce livre est un recueil de différents types d’écrits, rassemblés et rapportés par la narratrice. Ces écrits sont ceux de différents membres de la société Kesh, une société future imaginée par Ursula K. Le Guin. La narratrice nous donne à voir comment est régie la vie de ces habitants d’une Californie future, leurs rites, leur langue, leurs techniques.

Cependant, une histoire prend plus de place que les autres dans le livre : le récit autobiographique de Roche Qui Raconte. À travers ce personnage et son voyage, de sa vie dans son village natal à sa quête pour comprendre qui elle est, Ursula K. Le Guin imbrique et met en scène tous les éléments qu’elle a inventés autour de cette société.

De l’anthropologie d’anticipation

Dans les chapitres « Une première note » et « Vers une archéologie du futur » (qui ouvrent l’ouvrage), Ursula K. Le Guin explique son projet. Dans un style lyrique bien à elle, elle nous fait comprendre qu’elle a voulu reconstituer la vie, les coutumes et la langue du peuple Kesh. Un peuple qui n’existe pas encore, mais qui pourrait vivre en Californie du Nord dans cinq cent ans :

« Qui sait si les personnes qui peuplent ce livre n’auront pas pu avoir vécu dans fort longtemps en Californie du Nord. »

LA VALLÉE DE L’ÉTERNEL RETOUR, URSULA K. LE GUIN

Grand fan de science-fiction, j’adore cette idée. Mais si La vallée de l’éternel retour est définitivement un ouvrage d’anticipation, est-il pour autant un livre de science-fiction ? La question se pose, parce que dans le monde des Kesh, la technologie a régressé. Et à l’heure où l’on parle de plus en plus de décroissance et de façons alternatives de vivre, cette idée a fait écho en moi. Ce livre, c’est exactement ce que je cherchais à lire depuis des années. Un roman d’anticipation qui ne traite pas des avancées technologiques, de conquête de l’espace ou même de fin du monde : mais du monde d’après. D’une autre façon de vivre. C’est brillant !

« On ne peut atteindre ces gens-là en creusant. Ils n’ont pas de squelette. Les seuls ossements humains dans ce pré seraient ceux des premiers arrivants, et ils n’ont pas été enterrés ici, ils n’ont laissé ni tombes, ni tuiles, ni tessons, ni remparts ni pièces de monnaie derrière eux. S’ils ont fondé un bourg ici, il était fait de ce dont les bois et les champs sont faits, et il a disparu. On peut toujours tendre l’oreille, tous les mots de leur langue ont disparu, disparu jusqu’au dernier. Ils travaillaient l’obsidienne et ceci demeure ; en bas, en bordure de l’aéroport du riche, il y avait un atelier, et l’on peut ramasser des quantités d’éclats, quoique personne n’ait trouvé une pointe terminée depuis des années. Il ne subsiste pas d’autres traces. Ils possédaient leur vallée sans insistance, d’une main souple. Ils marchaient ici d’un pas léger. Tout comme le feront les autres, ceux que je cherche.  »

La vallée de l’éternel retour, Ursula K. Le Guin

Le monde des Kesh par Roche Qui Raconte

Tous les récits, les poèmes et les précis de langage s’imbriquent pour nous donner une vision d’ensemble de la vie des Kesh. Mais c’est surtout à travers le récit autobiographique de Roche Qui Raconte qu’on comprend leurs idées, leurs coutumes, leurs façons de voir le monde et de vivre dedans.

Ce que je trouve fascinant, c’est non seulement la capacité d’Ursula K. Le Guin d’imaginer ainsi tout un monde – et de le faire d’une façon si virtuose. Mais c’est aussi la beauté de ce monde, et la façon dont il résonne avec des idées toujours plus actuelles (le livre a été publié en anglais en 1985) : le recul des technologies, la volonté de se recentrer sur l’humain et la Terre, une vie plus en lien avec la nature. Une vie où la nature a non seulement une place, mais où elle est part entière de la vie des Kesh.

Parce que Roche Qui Raconte va voyager au dehors de la vallée, on comprendra mieux en quoi le monde des Kesh est différent des autres autours. Au contact des Condors, elle va comprendre que ce sont nos choix, tous nos choix, qui régissent et changent le monde dans lequel on vit.

Voici le tout début de son récit :

« Roche Qui Raconte, c’est mon dernier nom. Il m’est venu de mon plein gré, car il me faut raconter où j’ai été dans ma jeunesse ; à présent je ne vais nulle part, assise tel un roc, ici, dans ce sol, dans cette vallée. Je suis arrivée là où j’allais. Ma maison est l’Argile bleue, ma maisonnée le Haut Porche de Sinshan. Ma mère se nommait Towhee, Saule, puis Cendres. Le nom de mon père, Abahao, dans la vallée signifie Tue. À Sinshan les noms des bébés s’inspirent souvent ce deux des oiseaux, car ce sont des messagers. Le mois qui précéda la grossesse de ma mère, une chouette se percha chaque nuit dans les chênes que l’on appelle Gairga, devant les fenêtres de la Maison du Haut Porche, du côté nord, et y chanta le chant de la chouette ; ainsi Chouette du Nord fur mon premier nom. »

La vallée de l’éternel retour, Ursula K. Le Guin

CE QUE J’EN AI PENSÉ

Je m’emballe peut-être, mais c’est pour moi le livre d’anticipation ultime (si ça veut dire quelque chose). Le livre que j’attendais de lire, qui correspond à tout ce qui m’intéresse en ce moment. Le livre que j’aurais aimé écrire peut-être aussi. C’est long, et parce que ce n’est pas un roman, certain·es seront peut-être perturbé·es par la forme. Mais une fois trouvé le rythme de lecture qui m’était propre, c’est devenu l’un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de lire. C’est beau, c’est ingénieux et subtil, c’est poignant parfois. Un chef-d’œuvre, je vous dis.

Mais surtout, il y a sans doute autant de façons de lire ce livre qu’il y a de lecteurs et lectrices. Trouvez la vôtre et profitez de l’intelligence et du style de Le Guin. Je ne pense pas que vous le regretterez.

Un livre que je relirai, encore et encore.

OÙ TROUVER La vallée de l’éternel retour ?

La vallée de l’éternel retour a été publié chez Mnémos. Cette réédition fait la part belle aux illustrations de Margaret Chodos Irvine et contient des chapitres inédits. La traduction est d’Isabelle Reinharez. Vous le trouverez dans toutes les bonnes librairies de sfff.

QUE LIRE APRÈS ?

Il y a quelques années, j’ai lu un livre que, alors que très différent, je rapprocherai de La vallée de l’éternel retour. Dormance de Jean-Loup Trassard est l’histoire d’un homme, qui dans la campagne mayennaise, part à la recherche des premiers hominidés qui y vécurent en contact avec la nature.

Mais surtout il faut lire d’autres livres d’Ursula K. Le Guin ! Moi en tout cas, je ne m’en lasse pas. À chaque fois je suis à la fois surpris et conquis ! Je vous recommande :

La vallée de l’éternel retour, Ursula K. Le Guin est un livre qui se passe aux États-Unis.

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