POURQUOI LIRE La traversée ?
- Le livre : C’est le deuxième livre traduit en français de l’auteur finlandais Pajtim Statovci, après Mon chat Yugoslavia
- Le décor : le livre débute à Rome, mais on voyage beaucoup avec le narrateur, de son Albanie natale à l’Italie, l’Espagne, les États-Unis et la Finlande
- Le genre : La traversée est l’un de ces livres où l’histoire nous est livrée par bribes et où c’est à nous de reconstituer la chronologie des événements
- Le style : J’ai lu ce livre dans sa traduction anglaise (Crossing), mais j’ai été touché par cette précision dans l’écriture et cette fluidité
L’HISTOIRE
C’est l’histoire de Bujar et de son ami Agim. Ils sont nés en Albanie, ils sont meilleurs amis. Mais leur vie va changer quand le père de Bujar va mourir et celui d’Agim découvrir que son fils aime revêtir les vêtements et les bijoux de sa mère. Les deux amis décident de partir, quitter l’Albanie. C’est le début d’un nouveau départ (mais pas la fin des galères). Jusqu’où peut-on aller pour avoir droit à une nouvelle vie ? Combien d’endroits, combien de rencontres pour être complètement détruit ?
Identité, frontières physiques & frontières géographiques
Dans La traversée, Pajtim Statovci questionne le concept d’identité. Les deux personnages, au fil des chapitres, se cherchent. Que signifie être Albanais ? Que signifie être un homme ? Une femme ? Ce qui fait la différence avec les autres livres qui traitent des mêmes questions, c’est qu’ici elles sont liées. C’est en quittant l’Albanie, en se confrontant au racisme, en étant perçu comme toujours étranger, toujours queer que le narrateur va pouvoir commencer un voyage de retour vers ses racines. Pour enfin pouvoir les confronter.
Mais c’est également parce que le personnage principal a pu quitter l’Albanie et recommencer une nouvelle vie dans chaque pays, qu’il a pu changer de prénom, d’identité, et même de genre si souvent. Les identités sont fluides, et ce d’autant plus quand on n’a plus rien pour nous raccrocher à notre passé. On se demande souvent à la lecture de Crossing qui s’exprime, et c’est parce que le personnage principal ne nous dit pas tout. La narration dissimule, trompe même. J’ai trouvé que c’était une expérience de lecture très intéressante.
Mensonge et narration
Je ne sais pas si c’est une règle de la narration, mais dans quasiment tous les livres, le ou les narrateurs disent la vérité. C’est un fait attendu, qu’on ne remet même pas en cause. Dans Crossing, et ce dès le premier chapitre, on commence à douter de la véracité des événements racontés par le narrateur. Le « je » n’est jamais défini, toujours changeant, fluide. Et surtout, le narrateur lui-même semble remettre en cause ce qu’il dit au moment même où on le lit.
Cette expérience d’un narrateur « menteur pathologique » comme l’a décrit lui-même Pajtim Statovci est très intéressante. L’auteur lui-même explique sa démarche ainsi : ce sont les gens et leur racisme qui ont fait ça à Bujar. Leurs réflexions l’ont détruit. Il a compris très vite qu’il devait toujours mentir. Sur qui il était, là d’où il venait. Il a dû se réinventer une vie. Et c’est pour ça qu’il va devoir, après toutes ses aventures (mais ont-elles même eu lieu ?) retourner en Albanie, au point de départ, pour se retrouver.
CE QUE J’EN AI PENSÉ
La traversée est un livre étrange. C’est un livre qui se lit en même temps très rapidement (c’est fluide, c’est bien construit), et qui est cependant assez obscur. On est parfois confus : qui nous parle ? Bujar ou Agim ? On a envie de tourner les pages de plus en plus rapidement pour comprendre enfin ce qu’il s’est passé. De ce point de vue, c’est un livre génial à mon avis : jusqu’à la fin, on se demande où l’on va.
Mais c’est également un livre étrange, voire dérangeant, parce que ses personnages sont ambivalents. Ils sont loin d’être parfaits, on a beaucoup de mal à s’identifier à quiconque et surtout pas au personnage principal, qui nous ment et qui se cache de nous, dont certaines actions nous gênent. Et là encore ça fonctionne : ça donne à réfléchir, en lisant les aventures de Bujar et Agim, à nos propres actions. À quel point nos remarques et nos avis sur les autres les changent. Et si ce qui nous dérangeant chez les autres, c’était finalement ce que nous projetions sur elles et eux ?
OÙ TROUVER La traversée ?
J’ai lu La traversée (Crossing) en anglais, mais il sort en français chez Buchet-Chastel le 14 janvier 2021. J’espère que vous le trouverez parmi les nouveautés dans votre librairie préférée.
QUE LIRE APRÈS ?
J’ai maintenant très envie de lire le premier roman de Pajtim Statovci : Mon chat Yugoslavia. Et je vous conseille ces romans de jeunes auteurs gays qui viennent ou ne vont pas tarder à sortir en français :
- Un bref instant de splendeur, Ocean Vuong
- Swimming in the Dark, Tomasz Jedrowski
- Rainbow Milk, Paul Mendez
La traversée, Pajtim Statovci est un livre qui se passe en Albanie.