Indice des feux, Antoine Desjardins

Indice des feux est un excellent recueil de nouvelles. Antoine Desjardins a fait un sans faute avec ces sept nouvelles. C'est intelligent, entraînant, le tout porté par une écriture délicieuse. Il y a quelque chose dans cette plume qui fait que ces nouvelles – sur les conséquences du dérèglement climatique, sur notre rapport au vivant – nous touchent. Elles nous interpellent, nous parlent, nous secouent.

POURQUOI LIRE Indice des feux ?

  • Le livre : c’est un recueil de nouvelles, en fait c’est le meilleur recueil de nouvelles que j’ai lu depuis un moment !
  • Le décor : elles se passent toutes principalement au Québec, mais les paysages, urbains ou ruraux, varient.
  • Le genre : la nouvelle est un exercice difficile, il faut nous emporter dans l’histoire en peu de pages et ici, dans les sept nouvelles, ça fonctionne parfaitement.
  • Le style : l’écriture d’Antoine Desjardins est savoureuse, c’est fluide, ça se lit tout seul, c’est parfois drôle, puis poignant quand il le faut.

L’HISTOIRE

Les sept nouvelles tournent autour d’une question centrale aujourd’hui : la question écologique. Certaines traitent de l’idée de fin du monde (À boire debout, Fins du monde), des conséquences de notre impact sur la Terre (Couplet, Générale). D’autres traitent plus spécialement de notre rapport au vivant, au monde, aux gens. Les relations entre tout ça. Et ce sont celles-là (Feux doux, Ulmus Americana) qui ont eu le plus d’écho en moi.

Des nouvelles percutantes

Avec un tel sujet, c’était prévisible. L’écologie est plus que jamais d’actualité. Tout le monde y est confronté. Tout le monde y pense. Parce qu’il est devenu impossible d’oublier ce qu’on a fait du monde, ce qu’on continue d’en faire. Curieusement, je me rends compte que je lis peu de livres de fiction qui traitent des questions écologiques. Je pensais sans doute que les essais étaient plus importants sur ce genre de sujets. Je me rends compte avec Indice des feux que j’avais tort. La littérature, évidemment, peut transmettre parfois bien plus.

Parce que ces nouvelles ne sont pas juste un catalogue des catastrophes qui se passent sous nos yeux. Fonte des glaciers, montée des eaux, disparition des oiseaux, apparition d’une faune sauvage dangereuse dans les villes. C’est pas ça le vrai sujet du recueil. C’est ce qu’on en fait. Comment on vit tout ça. Parce que dans chaque nouvelle, il y a des personnages. Très bien campés. Des personnages auxquels on s’identifie. Et qui nous font donc réfléchir. La grande force de la littérature, elle est là. Antoine Desjardins ne dénonce rien qu’on ne sache déjà. Il nous oblige juste à nous confronter à ces mots (à ces maux). Il nous fait sentir, avoir peur, pleurer, rire. Des émotions de tous les jours, pas grand chose. Mais c’est tout ce dont on a besoin pour vivre les choses, les ressentir.

« S’accrocher à la vie. Parle-moi d’un beau cliché. Parle-moi d’une belle calice de niaiserie. Comment dire ? On s’accroche pas à la vie ? On la laisserait aller, si on avait le choix, mais c’est pas comme ça que ça marche. C’est elle qui s’accroche, avec ses ongles de dix pouces de long ben plantés dans nos corps cancéreux sans défense. C’est elle, la tête de cochon. T’as beau lui crier de décrisser, la supplier de te foutre la paix, l’envoyer chier, la tirer par l’oreille ou par les cheveux, lui mordre les doigts au sang, la kicker dans la fourche, lui cracher dans la face, la pousser en bas des marches, ça changera rien. Elle bouge pas d’un pouce. »

Indice des feux, Antoine Desjardins

Un recueil intelligemment construit

C’est parfois là que le bas blesse avec les nouvelles. J’adore en lire. Mais je suis parfois très déçu par le recueil. Il y a une ou deux pépites dedans, et le reste me laisse complètement froid. C’est là, à mon avis, que ça devient génial avec Indice des feux : dans la construction du recueil. L’ordre des nouvelles, le rythme de lecture que ça implique. Tout est réfléchi, agencé, pour nous surprendre, nous toucher. Ce n’est sans doute pas un hasard si la dernière nouvelle (Ulmus Americana) est très calme, reposante, contemplative, pour clore le recueil. Ça n’en est pas un non plus si la nouvelle précédente (Générale) était au contraire construite comme une enquête, où tout s’accélérait vers la fin.

Un autre hasard qui n’en est pas un : les points de vue narratifs choisis pour raconter chaque histoire. Une fois qu’on a lu et digéré la nouvelle, on peut essayer de prendre le temps de comprendre pourquoi on a été touché. C’est ce que j’ai fait avec la nouvelle 4 (Feux doux), ma préférée. Je voulais comprendre. A priori, la construction est banale. Dans cette nouvelle, un narrateur nous raconte la vie de son frère, ses études, ses choix, et sa « radicalisation progressive » (c’est ce que semble penser le narrateur) vers un écologisme extrême. La plus grande partie de la nouvelle est constituée par des dialogues, des souvenirs de conversations et des réflexions sur ces conversations, avec ce que ça comporte de discours rapportés. Raconter l’histoire ainsi, ça pourrait même être un peu casse-gueule. C’est en fait génial : tout tourne autour de ce que Louis a dit. Et ce qu’en comprend, ou pas, son frère Cédric. L’enjeu, c’est la différence entre le rapport de Cédric au monde, et celui de Louis. Et l’histoire nous étant racontée par Cédric, c’est notre propre rapport au monde qui est alors interrogé. Brillant !

« — Notre relation au monde. Notre manière d’interagir avec lui, de l’habiter et de l’accueillir. De le sentir, de le concevoir. Notre habileté à le lire, à le percevoir avec acuité. À le comprendre, à en reconnaître la complexité et les mystères insolubles. La valeur intrinsèque, non monétaire, qu’on y accorde, aussi. Notre façon de l’envisager. Le respect qu’il nous inspire. Le sens du devoir moral de protéger la nature, qui se développe en parallèle à cette relation-là. […] Ça ne sert à rien de vouloir sauver la planète, les océans, la forêt amazonienne ou les koalas. Ce qu’il faut sauver… ce qu’il faut rétablir, soigner, rapiécer, c’est notre relation au monde dans lequel on vit trop souvent en surface sans y être vraiment. Sauver notre relation à la nature, au vivant, parce que tout le reste en dépend. »

INDICE DES FEUX, ANTOINE DESJARDINS

CE QUE J’EN AI PENSÉ

Si tu as lu tout ce que j’ai écrit plus haut, c’est déjà clair pour toi : j’ai adoré ce recueil de nouvelles. J’ai trouvé les nouvelles brillantes, la construction du recueil géniale. Mention spéciale aux nouvelles 1 (À boire debout), 4 (Feux doux) et 7 (Ulmus Americana) qui sont mes préférées. Ça m’a fait beaucoup de bien de lire un si bon recueil de nouvelles. Maintenant, j’en veux plus. En attendant, c’est sûr, je relirai certaines nouvelles d’Indice des feux.

OÙ TROUVER Indice des feux ?

Indice des feux a été publié par la maison d’édition québécoise La Peuplade. Vous le trouverez dans toutes les bonnes librairies.

QUE LIRE APRÈS ?

J’ai hâte de découvrir ce que La peuplade va publier ensuite. Je pioche de plus en plus parmi les livres de leur catalogue et je ne suis jamais déçu.

En attendant, je vous conseille ces autres livres de la rentrée de janvier 2021 qui traitent, d’une certaine manière aussi, de notre rapport au vivant, au monde qui nous entoure :

  • Mousse, Klaus Modick
  • Presqu’îles, Yan Lespoux

Indice des feux, Antoine Desjardins est un livre qui se passe au Québec.

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