La parabole du semeur, Octavia E. Butler

La parabole du semeur est un roman de science-fiction mais c'est tellement plus que ça. Le roman de l'autrice africaine américaine Octavia E. Butler est un chef d'œuvre ! C'est une dystopie, aux allures de fin du monde, dans laquelle une jeune femme noire, Lauren, mène un groupe en quête d'un nouveau lieu où vivre. Un nouveau paradis.

POURQUOI LIRE La parabole du semeur ?

  • Le livre : La parabole du semeur est le premier tome d’une duologie, l’histoire continuant avec La parabole des Talents
  • Le décor : une Californie post-apocalyptique dans les années 2020, autant dire que le monde décrit n’est pas si éloigné de la réalité que ça
  • Le genre : c’est de la science-fiction de fin du monde, on peut parler de dystopie, mais d’une dystopie pleine d’espoir, parce que c’est ça qui transparait finalement du roman
  • Le style : quand je lis de la SF bien écrite, je jubile ! L’écriture d’Octavia Butler est non seulement fluide, mais aussi recherchée, poétique par moment.

L’HISTOIRE

C’est l’histoire de Lauren, qui a 15 ans quand le récit commence. C’est son journal qu’on lit. Les événements qu’elle décrit sont entrecoupés des réflexions qu’elle note, et qui constituent Le livre des Vivants.

Le monde de Lauren est bien abîmé par le changement climatique. Dans la banlieue de Los Angeles, ceux qui ont encore un travail, un peu d’argent, des arbres fruitiers et un petit terrain où faire pousser de la nourriture ont dû se barricader dans des quartiers fermés. C’est là où Lauren vit avec sa famille et leurs voisins. Vivant barricadés, Lauren et les autres doivent se protéger de celles et ceux moins bien lotis, qui mettent le feu aux maisons pour les piller. Lauren comprend très tôt qu’un jour, leur petit îlot de sécurité tombera, et qu’elle devra partir. Peut-être vers le Nord où on dit qu’il y a plus de travail ?

Un monde apocalyptique différent

Je ne suis pas un inconditionnel des romans de fin du monde, mais j’ai l’impression que La parabole du Semeur débute comme toutes les histoires apocalyptique. On suit des personnages retranchés derrière des barricades, qui survivent, se faisant progressivement une idée : les choses ne vont pas devenir meilleures.

Ce qui fait la différence ici, c’est l’attention de l’autrice à ce qui peut paraître des détails, mais qui pour moi changent tout. Ici, pas de zombies, mais des humains détruits par les drogues et la pauvreté la plus totale. Le monde va mal, pas détruit par une bombe nucléaire ou que sais-je encore, mais par les forces à l’œuvre du réchauffement climatique. Les gens sont dans une détresse extrême parce qu’il n’y a plus de travail. La croissance n’est pas infinie, le capitalisme vit ses heures les plus sombres. Octavia E. Butler a écrit son livre au début des années 1990, et elle pouvait donc bien sentir ce que les États-Unis des années 2020 pourraient devenir. Entre nous, dans le livre, tout est plausible, rien n’est si éloigné de la réalité à en paraître tiré par les cheveux.

« Les gens mettent le feu comme ils l’ont fait chez nous : pour mobiliser les voisins et en profiter pour entrer dans les maisons. Ils mettent le feu pour se débarrasser de leurs ennemis personnels ou de ceux qui ne sont pas de leur race ou de leur clan. Ils mettent le feu parce qu’ils sont frustrés, en colère, désespérés. Ils n’ont pas le pouvoir de se sortir de la misère mais il leur reste celui de faire du mal aux autres. »

La parabole du semeur, Octavia E. Butler

Une héroïne différente

Cette dystopie est peut-être aussi différente des autres parce qu’elle a été écrite par une femme. Je m’explique : ce que j’ai remarqué au début de ma lecture, et qui n’a fait que devenir de plus en plus clair, c’est que le point de vue change énormément la donne. Parce qu’elle est une jeune femme noire, Lauren voit le monde autour d’elle différemment. Elle sait qu’en tant que femme noire, elle est davantage une cible que d’autres. Des vols, mais également des viols. Dans tous le roman – contrairement à tous les autres où les personnages sont des hommes blancs – l’autrice insiste sur le danger couru par les femmes et les personnes racisées sur la route. Entre nous, ce changement de perspective, est plus que bienvenu, il est nécessaire.

C’est également la première fois que je vois dans une dystopie un personnage principal avec un handicap. D’ailleurs l’autrice semble nous interroger. Lauren a-t-elle un handicap invisible (comme semblent le penser d’autres personnages, comme son père) ou a-t-elle une faculté qui la rend plus forte ? Comme d’autres personnes dont les mères étaient sous l’emprise de certaines drogues pendant leur grossesse, Lauren est hyperempathique. C’est à dire qu’elle ressent physiquement les souffrances (et les plaisirs, mais ils se font rares) des gens qu’elle voit. Si quelqu’un est blessé, elle en ressent la douleur dans son propre corps.

« Mon père me jetait un regard de temps à autre. Il me dit toujours : « Tu peux dominer ton handicap. Tu n’es pas obligée de t’y abandonner. » Il prétend, ou peut-être qu’il le pense sincèrement, que mon syndrome d’hyperempathie est quelque chose dont je peux me débarrasser à volonté. Après tout, la sensation de « partage » que je ressens n’est pas réelle. Ce n’est pas de la magie ou une perception extra-sensorielle qui me permet de partager la douleur ou le plaisir d’autres personnes. C’est purement psychique. »

LA PARABOLE DU SEMEUR, OCTAVIA E. BUTLER

Une dystopie pleine d’espoir

C’est peut-être cette faculté de Lauren, son hyperempathie, qui fait que depuis toujours, elle voit le monde différemment. Parce qu’elle ressent les douleurs des autres, elle les comprend mieux ?

Lauren a reçu une éducation religieuse de son père, pasteur de leur communauté. Mais elle ne pense pas comme lui. Elle ne croit pas en le même Dieu. Petit à petit, elle parvient à mettre des mots sur ce qu’elle ressent. Son Dieu est un Dieu du changement. Ses pensées, elle les écrit dans un carnet, Le livre des Vivants, qui vont devenir les fondements d’une nouvelle religion : Earthseed (Semence de la Terre en français). Sa religion, sa spiritualité, elle va la prêcher auprès de ses compagnons, sur la route vers le salut. Toutes et tous ne vont pas décider de croire avec elle, mais toutes et tous vont la suivre. Parce que la croyance de Lauren est une chose à laquelle tout le monde peut se raccrocher. L’espoir d’un monde meilleur, d’un futur viable, de la construction d’un nouveau paradis.

« Tout ce que tu touches,

Tu le changes.

Tout ce que tu changes,

Te change.

La seule vérité permanente

Est le Changement.

Dieu

Est Changement. »

LA PARABOLE DU SEMEUR, OCTAVIA E. BUTLER

CE QUE J’EN AI PENSÉ

C’est l’un des meilleurs livres que j’ai lus cette année ! J’ai adoré et j’ai hâte de lire la suite ! On retrouve dans La parabole du semeur les codes des romans de fin du monde, mais on va plus loin. Le livre se démarque tout d’abord par son héroïne. Une jeune femme noire, forte, qui porte l’histoire. Il se démarque également par ses thèmes, traitant autant de l’esclavage, que de handicap invisible et même de religion. Et surtout le livre d’Octavia Butler se démarque selon moi par son style. Ça fait plaisir de lire un roman d’anticipation aussi bien écrit ! Bref, c’est pour moi un sans faute !

OÙ TROUVER La parabole du semeur ?

Vous trouverez La parabole du semeur en français aux éditions Au diable Vauvert. Le livre sera réédité en poche le 8 octobre 2020. Vous pouvez le précommander chez votre libraire préféré.

QUE LIRE APRÈS ?

Je ne compte pas m’arrêter là ! J’ai désormais envie de lire tous les livres d’Octavia E. Butler ! Je commencerai évidemment avec La parabole des Talents, et j’ai déjà noté Liens de sang pour continuer.

Je veux également lire davantage de SF écrite par des personnes racisées :

  • Qui a peur de la mort ?, Nnedi Okorafor
  • Triton, Samuel R. Delany
  • Le problème à trois corps, Cixin Liu

La parabole des Talents

La parabole des Talents, Octavia E. Butler

Mise à jour novembre 2020 : je ne pense pas que j’écrirai un nouvel article, mais j’ai dévoré La parabole des Talents et je crois bien l’avoir encore plus aimé que le précédent ! En déplaçant la focalisation de Lauren à d’autres personnages, le personnage gagne en profondeur. La dimension religieuse, politique et sociale des États-Unis est également plus approfondie, et ça fait froid dans le dos – je pense notamment à la formule Make America Great Again du politicien inventé par Octavia E. Butler. Ce n’est pas plus joyeux, et c’est peut-être plus pessimiste que La parabole du Semeur, mais c’est une suite qui est une très grande réussite ! Mon seul point négatif : c’est le dernier roman de la série parce que l’autrice n’a pas pu mener à bien son projet initial. Mais, pour les gens que ça intéresse, on a une très bonne idée de ce qu’elle aurait voulu écrire (article en anglais).

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