Dans la mansarde, Marlen Haushofer

Dans la mansarde est le dernier roman de Marlen Haushofer. Cette autrice autrichienne, décédée en 1970 a écrit des romans qui laissent la part belle à des narratrices souvent seules, qui se questionnent sur le monde qui les entoure. Dans la mansarde ne fait pas exception à la règle, avec l'histoire de cette femme qui s'interroge sur sa condition, nous livre ses réflexions féministes et nous fait part de ses rêves.

POURQUOI LIRE Dans la mansarde ?

  • Le livre : écrit en 1969, c’est le dernier roman publié du vivant de l’autrice du Mur Invisible.
  • Le décor : la maison d’une famille bourgeoise d’une ville autrichienne.
  • Le genre : Dans la mansarde est un roman introspectif, où il ne se passe pas grand chose, et où nous suivons les pensées de la narratrice.
  • Le style : Marlen Haushofer parvient à alterner des passages très drôles avec des réflexions beaucoup plus poussées et sombres. C’est fluide, simple, mais profond.

L’HISTOIRE

Huit jours dans la vie de la narratrice (dont on ne connaîtra jamais le nom). L’histoire commence un dimanche et se terminera le dimanche suivant. On va la suivre dans ses activités quotidiennes de femme bourgeoise au foyer (ménage, courses, cuisine, visites) et dessin : elle dessine dans sa mansarde oiseaux, insectes et batraciens.

Le quotidien plutôt banal de cette femme prend un tour inattendu quand elle reçoit chaque jour par la poste des pages de journal qu’elle a écrit plus de quinze ans auparavant. Alors que les souvenirs s’imposent à elle, c’est l’occasion pour la narratrice de réfléchir à son passé et à son quotidien présent, et de se dévoiler, malgré ses réticences.

dans la mansarde : l’isolement

Qu’est-ce que la vie d’une femme au foyer d’une maison bourgeoise ? Entre tâches ménagères, ennui et « hobby », comment remplir ses journées ?

La maison de la narratrice n’est pas la sienne, c’est celle de son mari. La seule pièce qui lui appartienne vraiment, c’est la mansarde. C’est là qu’elle se réfugie, là où elle est seule, où elle peut vivre une nouvelle vie, se laisser aller aux « pensées de la mansarde ». C’est là aussi qu’elle dessine. Son but ultime : réussir à dessiner un oiseau qui n’aurait pas l’air d’un oiseau seul au monde.

La narratrice de Dans la mansarde a beaucoup de temps pour penser. Beaucoup trop, comme elle semble nous le dire à plusieurs reprises :

« La réflexion est bonne et utile pour de petites choses sans importance. Au-delà, elle n’engendre chez moi que désarroi et malheur. Toutes les décisions ratées de ma vie, je les ai prises après mûres réflexion. Je continue néanmoins, parce qu’on m’a inculqué dès l’enfance que l’être humain devait penser. Ou bien je ne suis pas un être humain ou bien ce précepte était faux. […] Je ne pris pas le balai, je rampai sur les genoux pour nettoyer tous les coins que le balai n’atteint pas. Ce fut un grand bienfait car je cessai enfin de penser. Ce travail est merveilleusement astreignant, il faut se déhancher pour passer sous les armoires, pour déplacer les meubles, le dos vous fait mal et les mains vous brûlent. Il n’y a rien de mieux contre les pensées importunes. »

Dans la mansarde, Marlen Haushofer

Certaines de ses réflexions sont pourtant magnifiques. Elle questionne sa place en tant qu’épouse et en tant que mère. Elle s’interroge sur sa vie et la vie des autres autour d’elles. Son mari, ses enfants. Les réflexions féministes de la narratrice de Marlen Haushofer trouvent un écho encore aujourd’hui.

Les non-dits de la vie de couple et de mère

La narratrice ne cache rien. En tout cas en ce qui concerne les autres. Elle a ses secrets, mais elle dévoile tout sur son mari, sa belle-famille et ses enfants. Elle décrit son mari, se moque souvent de lui, expose ses réflexions sur le couple. Sur la façon dont ils ont continué de vieillir en se séparant toujours un peu plus l’un de l’autre.

Elle décortique les habitudes de tout le monde autour d’elle. Et c’est d’autant plus facile que les gens sont tous loin d’elle. Elle est différente des autres. Elle voit les choses différemment et ne peut parler de ce qui lui passe par la tête avec personne. Même ses enfants, elle ne les connaît pas vraiment. Ils s’éloignent de plus en plus d’elle, ils n’ont plus besoin d’elle. Son détachement fait parfois froid dans le dos.

Elle décrit l’apparence et les manies de chacun, avec désinvolture et sans complaisance, à commencer par Hubert, son mari :

« Hubert a cinquante-deux ans et se porte fort bien pour quelqu’un qui ne fait absolument rien pour sa santé. Sa tension est normale. Bien sûr, ses articulations craquent un peu, parfois, et il a perdu quatre dents, mais ce n’est pas considérable. Par contre, il a des cheveux bruns encore assez épais, même si quelques cheveux gris s’y mêlent. C’est un homme tempérant, légèrement enclin à la pédanterie. Pourquoi ne vieillirait-il pas ? »

Dans la mansarde, Marlen Haushofer

Une autre façon de voir le monde

Les lettres qu’elle reçoit, ramènent la narratrice à cette période de sa vie où elle est devenue sourde. C’est arrivé d’un coup, ça a duré pendant un certain temps, et ça a disparu. Elle est allée vivre en montagne le temps de sa rémission.

C’est l’occasion pour Marlen Haushofer de décrire le monde autour de la narratrice différemment. Celle-ci n’entend plus rien, et le monde, les gens, les animaux, tout lui est différent. Et certains passages qui décrivent sa vie dans la montagne, la forêt, le lac, sont magnifiques et rappellent Le mur invisible.

Même plus tard, quand elle pourra entendre de nouveaux, les gens resteront éloignés d’elle et différents. Souvent, elle ne les entend pas, ou ne les comprend pas. Elle oublie, elle confond, elle superpose les souvenirs. Elle ne peut communiquer avec eux parce qu’ils n’ont pas ses pouvoirs magiques. Cette métaphore de la surdité provisoire fonctionne merveilleusement dans ce livre pour nous amener à réfléchir à notre propre isolement.

« Aujourd’hui je suis allée en forêt. Silence glacé et beauté. Rien ne me distrait, ni un craquement d’arbre ni le crissement de mes chaussures qui s’enfoncent dans la neige. Je me rappelle très distinctement ce frottement sec. Le silence me donne un sentiment d’irréel, j’ai l’impression d’être un fantôme qui vient hanter la forêt enneigée. Pas un seul animal en vue. Où sont-ils tous ? […] Quantité de mésanges et de pinsons viennent picorer sous ma fenêtre mais dans la forêt je n’ai pas vu un seul oiseau. Peut-être s’effraient-ils en entendant mes pas, il ne faut pas que j’oublie que je fais du bruit comme tout autre être humain. »

Dans la mansarde, Marlen Haushofer

CE QUE J’EN AI PENSÉ

Ce livre m’a beaucoup touché. Au moins autant que Le mur invisible de la même autrice. Une nouvelle fois, je n’ai eu aucun mal à m’identifier rapidement à la narratrice. C’était d’autant plus facile dans ce roman parce que son monde et ses préoccupations sont plus proches des miennes (je travaille depuis chez moi, je connais l’ennui, la dispersion dans le ménage et les hobbies).

On retrouve des ingrédients qui me plaisent énormément en littérature : c’est un livre lent, très descriptif, mais aussi plein de réflexions sur la vie (dans un couple, dans une famille, face aux autres personnes autour). C’est un roman où la narratrice est attentive au monde qui l’entoure. Elle est lucide. Elle ne semble pas triste ou abattue : elle vit avec le monde. Elle a tenté d’oublier son passé, mais celui-ci lui revient au moment où elle ne s’y attendait plus. Elle semble se faire une raison de tout ce qui arrive.

C’est ce genre de personnages, subtils et bien construits, qui me touchent le plus. Sans doute parce que ce sont ceux qui me poussent le plus à réfléchir à ma propre vie, en miroir de leur histoire.

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OÙ TROUVER LE LIVRE Dans la mansarde ?

Dans la mansarde a été publié en français par Actes Sud en 1987. Le livre a été republié chez Babel en août 2019. La traduction française est de Miguel Couffon. Vous trouverez ce livre dans sa version de poche dans toutes les bonnes librairies près de chez vous.

QUE LIRE APRÈS ?

Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous conseille de lire le magnifique livre Le Mur invisible de Marlen Haushofer. Ça a été l’un de mes gros coups de cœur de l’année.

Et moi je compte bien continuer de découvrir l’œuvre littéraire de cette autrice en lisant La porte dérobée et Une poignée de vie.

Ce livre, par ses réflexions sur la place des femmes dans le monde, et sur la question de l’isolement, m’a fait penser à :

  • Une chambre à soi de Virginia Woolf
  • et surtout Les vagues de Virginia Woolf
  • Chez soi, une odyssée de l’espace domestique de Mona Chollet

Dans la mansarde, Marlen Haushofer est un livre qui se passe en Autriche.

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