POURQUOI LIRE Confession d’un masque ?
- Le livre : le premier roman publié de l’un des plus grands romanciers japonais du XXe siècle.
- Le décor : la jeunesse du narrateur dans le Japon des années 1930 et 1940. Comment être homosexuel dans une société si conservatrice ?
- Le genre : un roman qui semble très empreint d’autobiographie. Où commence l’autofiction ? Où se termine le roman ?
- Le style : une écriture torturée, entre retenue et impudeur. On dit le style de Mishima plus européen dans l’écriture que japonais.
L’HISTOIRE
L’histoire de Confession d’un masque, comme son titre semble l’indiquer, a tout du roman autobiographique. On commence avec l’enfance et la jeunesse du narrateur dans le Japon conservateur des années 1930-40. Celui-ci se rend compte très tôt de sa différence, de son attirance pour les autres garçons, et de son penchant pour les représentations du sadisme (à 12 ans avec une reproduction du Saint-Sébastien peint par Guido Reni).
Mais c’est un roman très sombre. Parce que le narrateur refuse cette différence, son homosexualité. Et se cache derrière un masque. Le masque, c’est aussi celui de la tradition japonaise du théâtre : le nô. Comme dans celui-ci, c’est un drame lyrique et poétique qui se joue dans ce roman. Le tout porté par la plume magnifique de Yukio Mishima.
Mishima ou la frustration du désir
De nombreux thèmes se détachent du livre. Mais ceux qui m’ont le plus marqué, en tant que jeune lecteur gay, sont liés à la non-acceptation de son homosexualité par Yukio Mishima. Un refoulement bien compréhensible dans un pays et à une époque ou les choses étaient bien compliquées. Encore aujourd’hui, les coming-outs sont rare au Japon, et les droits des personnes LGBTQI restreints.
Confession d’un masque, c’est sans doute l’un des livres les plus puissants sur la frustration du désir. Parce que ce désir ressenti par le narrateur est sans cesse refoulé. Le narrateur se sent différent, des autres garçons mais ne peut pas vivre ainsi et se doit de taire sa différence.
C’est l’histoire de ce rejet, de cette souffrance, qui est magnifiquement retranscrite par Mishima. En mêlant histoire personnelle de frustration du désir et histoire du Japon en guerre, Yukio Mishima choque. Son personnage principal nous attendrit et nous répugne tour à tour. Quel tour de force !
« Pour ma part, je me trompais certainement. En réalité, les autres garçons n’éprouvaient pas, comme moi, le besoin de se comprendre eux-mêmes, ils pouvaient être naturels, alors qu’il me fallait jouer un rôle, ce qui exigeait un discernement et une attention considérables. Aussi n’était-ce pas ma maturité d’esprit, mais mon sentiment de malaise, mon incertitude, qui me forçaient à exercer un contrôle sur mon moi conscient. »
Confession d’un masque, Yukio Mishima
Mishima et le sadisme
Et on découvre dans Confession d’un masque toute la dimension sadique à l’œuvre chez Mishima. Cette fascination pour la douleur, pour la mort, pour le sang. Il se plaît à citer cette phrase : « Hirschfeld place les « images de saint Sébastien au premier rang des œuvres d’art qui procure aux invertis un plaisir particulier ». Cette observation de Hirschfeld amène aisément à supposer que dans l’immense majorité des cas d’inversion, en particulier d’inversion congénitale, les pulsions inverties et sadiques sont liées ensemble de façon inextricable. »
Et l’extrait suivant nous montre bien, comment déjà très jeune, Yukio Mishima était attiré par la symbolique du sadisme :
« Étant enfant, je lisais tous les contes de fées qui me tombaient sous la main, pourtant, je n’ai jamais eu de goût pour les princesses. Je n’aimais que les princes. Surtout les princes assassinés ou voués à la mort. J’étais absolument amoureux de tous les jeunes hommes qui venaient à être tués. […] Des visions de « princes assassinés » me poursuivaient obstinément. Qui aurait pu m’expliquer pourquoi je me complaisais à des évocations où les culottes collantes, qui révélaient les formes, portées par ces princes étaient associées avec leur mort cruelle ? »
Confession d’un masque, Yukio Mishima
CE QUE J’EN AI PENSÉ
Ce livre m’a fait passer par beaucoup d’émotions. C’est beau : il n’y a rien à redire quand au style. C’est magnifique et ça donne envie de découvrir les autres Mishima.
Mais c’est aussi parfois difficile à lire. Cette introspection du narrateur est douloureuse, parce que très forte. L’auteur nous pousse dans nos retranchements. Il nous pousse, en suivant le narrateur dans toutes ses pensées, ses penchants, ses actions, à le prendre en pitié par moments et à le détester à d’autres.
De ce point de vue, c’est sans conteste un chef-d’œuvre. Et je le conseille à toutes les personnes qui n’ont pas peur de s’embarquer dans un roman sombre, poétique et puissant.
OÙ TROUVER Confession d’un masque de yukio Mishima ?
En France, Confession d’un masque a été publié par Gallimard dans la collection Du Monde entier, et en poche chez Folio. C’est l’une des œuvres les plus connues de l’auteur, vous n’aurez sans doute aucun mal à la trouver dans une librairie près de chez vous.
QUE LIRE APRÈS ?
C’était ma première lecture de Yukio Mishima. Et depuis, j’ai très envie d’en lire d’autres ! À commencer par :
- Le marin rejeté par la mer
- Le pavillon d’or
- La mer de la fertilité
Si vous aimez Mishima, je vous conseille également l’essai que lui a consacré Marguerite Yourcenar : Mishima ou la Vision du vide.
Et j’ai également très envie de découvrir d’autres livres de la littérature japonaise, parmi lesquels :
- Les amants du Spoutnik, Haruki Murakami
- Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, Kenzaburō Ōe
- Rashōmon et autres contes, Ryūnosuke Akutagawa
Vous connaissez d’autres livres japonais que je devrais lire ?
Confession d’un masque, Yukio Mishima est un livre qui se passe au Japon.
Roland CORNTHWAITE 21 / 09 / 2020
Je vois dans vous avez le pavillon d’or dans votre liste et j’en garde un excellent souvenir, très fort et donc que je vous conseille vivement.
Il y a aussi une très intéressante biographie de Henry Scott-Stokes, Vie et mort de Mishima paru chez Picquier poche, dont l’auteur fut ami de l’écrivain.
Au plaisir de vous retrouver ici,
R. C.
Florian 22 / 09 / 2020 — Le Dévorateur
Je n’ai toujours pas lu Le pavillon d’or ! Il faut que je m’y mette, et que je note en passant cette biographie, après le court essai de Yourcenar, ça peut être intéressant.
toto 02 / 10 / 2021
La littérature japonaise est d’une richesse incroyable. Je remarque d’ailleurs que vous ne traitez pas non plus de littérature africaine, pourtant très riche aussi.
Florian 04 / 10 / 2021 — Le Dévorateur
C’est vrai, et c’est parce que je la connais très peu. J’essaie cependant d’en lire de plus en plus. Mais ça ne se voit pas encore sur le blog parce que je n’ai pas publié d’article depuis un moment et donc toutes mes dernières lectures en sont absentes. J’essaie avoir plus de temps à y consacrer bientôt pour remédier à ça.