POURQUOI LIRE Les orageuses ?
- Le livre : c’est le premier roman de l’autrice, et c’est également le premier roman publié dans la collection Sorcières de Cambourakis
- Le décor : on sent une tension entre la ville, les rues, les bars, les appartements des femmes ou de leur violeur, et le calme de la côte bretonne, où l’on peut se ressourcer
- Le genre : Les Orageuses un roman, un roman riche et dense où la fiction se nourrit par moments des formes du récit et de l’essai politique
- Le style : c’est très bien écrit, c’est percutant par moment, dur même, mais à d’autres ça devient très doux, comme un baume sur les plaies.
L’HISTOIRE
C’est l’histoire d’un groupe de filles/femmes/sorcières : Mia, Lila, Inès, Leo, Nina et Louise. Elles ont été violées. Elles comptent bien retrouver les violeurs et se « rendre justice ». Faire changer la peur de camp. C’est l’histoire de Lucie qui va rencontrer Mia et accompagner le groupe dans certaines de leurs actions de réparations. C’est l’histoire de ces sept femmes brisées qui vont se réparer ensemble.
La force de ces femmes : la sororité
On lit encore trop peu de romans où des femmes se soutiennent, s’entraident, se reconstruisent, se réparent. Entre elles. « Parmi » comme l’écrit Marcia Burnier – est-ce un helvétisme ?
« Elle a découvert quelque chose de fou, quelque chose dont on avait essayer de la priver. Elle a découvert qu’elle n’était pas seule. Elles avaient fait quelque chose ensemble, un truc qui les reliait pour toujours. Un truc sororal. Un truc qui soudait leur groupe, un cadeau qu’elles s’offraient parmi. »
Les orageuses, Marcia Burnier
Et je suis sûr que je ne suis pas seul à vouloir lire plus de livres qui traitent de sororité, qui la mettent en scène. D’autant plus quand il est question de violences sexuelles. Alors que de très nombreuses femmes sont victimes de viols et d’agressions sexuelles, le sujet reste tabou. On n’en parle pas. Pas encore suffisamment. Les chiffres officiels parlent de 94000 femmes victimes de viols et/ou de tentatives de viols chaque année. Chaque année ! Dans 91% des cas, elles connaissent leur agresseur. Pourtant, seulement 12% portent plainte. Ces chiffres, aussi alarmants soient-ils, ne sont que des chiffres : ils s’oublient facilement.
Mais Mia, Lucie, Leo, Lila, Inès et Louise, je ne suis pas près de les oublier. Parce qu’elles sont là pour les autres. Elles parlent entre elles, elles se réconfortent. Et parce qu’elles décident de prendre les choses en main. Là où la justice et le système d’assistance sociale échouent, elles comptent bien faire quelque chose. Agir, pour se reconstruire. Ensemble.
« Elle prend le temps de bien les regarder toutes, sorcières mes sœurs, ces vengeresses, pétroleuses, prêtresses, toutes un peu abîmées mais qui ont réussi à se rafistoler comme elles pouvaient. Elle a une bouffée d’amour avant la violence et elle les regarde comme si elle regardait sa famille, Nina, Lila, Inès, Leo et Louise. »
Les orageuses, Marcia Burnier
La force de ce roman : ses idées
Je pense que le roman est un outil incroyable pour faire passer certaines idées. Je pense qu’un bon roman est souvent bien meilleur pour ça qu’un essai. Marcia Burnier confirme cette idée avec Les orageuses. L’histoire de ces sept femmes, le récit de ce qui leur est arrivé, permet l’identification. Et là où les récits autobiographiques sont parfois difficiles à lire, la fiction permet, de par le travail romanesque, la construction, la narration, le style, d’alléger l’histoire. Les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas, aérant un récit qui aurait pu devenir trop suffocant. Et l’humour des filles est également le bienvenu.
Mais surtout le roman permet de faire réfléchir mine de rien. Certaines idées avancées par les filles du groupe suffiraient à enflammer n’importe quelle discussion (elles en sont bien conscientes d’ailleurs quand leurs actions font parler d’elles). Les questions de la justice, de la vengeance, des réparations, de la violence, on les trouve dans de nombreuses réflexions sur la culture du viol et l’impunité des violeurs.
Mais avec Marcia Burnier, parce qu’elles sont apportées dans des dialogues, dans des discussions, elles passent mieux. Quand on lit un roman, on ne peut pas répondre. On continue de lire, et on voit comment les autres personnages réagissent. Parce qu’on suit l’évolution de Lucie, de ce qu’elle pense des actions du groupe, on a la possibilité d’évoluer avec elle. Et quand on assiste à la réaction des hommes et du milieu militant dans le roman, on est dégoûté·e. On a envie de les secouer. De rejoindre Mia et les autres. Et c’est tant mieux.
« Ce qu’elles voulaient, c’était des réparations, c’était se sentir moins vides, moins laissées-pour-compte. Elles avaient besoin de faire du bruit, de faire des vagues, que leur douleur retentisse quelque part. Quand elles avaient décidé qu’elles n’étaient plus intéressées par le procès équitable qu’on leur refusait de toute façon, elles s’étaient demandé ce qui poussait ces hommes, quel que soit leur milieu, à vouloir les posséder. Qu’est-ce qui rendait cet acte universel, structurel, et défendu systématiquement par une solidarité masculine sans faille ? C’est bien simple, expliquait Leo, dans n’importe quel groupe, allez accuser un homme de viol et observez les forces à l’œuvre pour que surtout rien ne soit bousculé par cette révélation. »
LES ORAGEUSES, MARCIA BURNIER
Mon avis
C’est un excellent premier roman ! Un roman qui fout la rage et donne envie de tout casser. C’est dur, c’est violent, mais c’est aussi doux et réconfortant. Ça décape et ça fait du bien. Ça donne envie de se faire des spaghettis et d’aller se baigner à Saint-Lunaire. Ça donne envie d’appeler ses copines et d’aller tout tagger/saccager avant d’aller boire une bière.
C’est court mais c’est dense en même temps. Les personnages sont bien ficelés. On rentre dans des vies, on en aperçoit d’autres de loin. Ça va très vite, l’histoire est prenante. La construction avec le focus tour à tour sur Mia puis Lucie nous fait avaler les pages à vitesse grand V. Des phrases comme des uppercuts nous arrêtent souvent dans notre élan. C’est puissant. C’est beau.
OÙ TROUVER Les orageuses ?
Les orageuses a été publié dans la collection Sorcières des éditions Cambourakis en septembre 2020. Commandez-le dans votre librairie indépendante préférée.
QUE LIRE APRÈS ?
Dans Les orageuses, il est fait mention de Dirty Week-end de Helen Zahavi. J’ai maintenant très envie de le lire !
Ça m’a aussi rappelé que je voulais lire Mordre au travers de Virginie Despentes, et peut-être relire Vernon Subutex.
Je veux aussi maintenant me procurer le dernier roman publié dans la même collection : Devenir Chienne d’Itziar Ziga.
Et en attendant, moi je vous conseille le très bon Bâtir aussi des Ateliers de l’Antémonde, dans la même collection Sorcières chez Cambourakis.
Les orageuses, Marcia Burnier est un livre qui se passe en France.
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