Un livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates

Un livre de martyrs américains est le dernier roman de Joyce Carol Oates. Dans ce livre, dur mais nécessaire, l'autrice analyse la question de l'avortement et du mouvement pro-vie aux États-Unis. Elle met en scène la radicalisation d'un homme qui va assassiner un médecin qui pratique des avortements. À travers deux familles que tout oppose, JCO va nous donner à voir les conséquences de cet acte sur la vie des femmes et des filles de Luther Dunphy et d'Augustus Voorhees.

POURQUOI LIRE Un livre de martyrs américains ?

  • Le livre : Un livre de martyrs américains interroge les convictions de deux hommes : un médecin qui pratique des avortements et un croyant qui va l’assassiner
  • Le décor : les États du Michigan et de l’Ohio aux États-Unis, où la lutte anti-avortement est très forte et les églises évangélistes puissantes
  • Le genre : on retrouve Joyce Carol Oates dans ce qu’elle aime : nous pousser à réfléchir à notre société en essayant de comprendre ce qui pousse chaque personnage
  • Le style : c’est un pavé qui se lit très vite, parce que c’est extrêmement bien écrit et construit, on ne s’ennuie pas un seul instant

L’histoire

Un livre de martyrs américains s’ouvre avec la scène où Luther Dunphy assassine le docteur Augustus Voorhees et le bénévole qui l’accompagnait en voiture. C’est d’abord Dunphy qui raconte son histoire, ses croyances, son parcours le menant à ce meurtre.

Puis on change de point de vue et on se retrouve dans la famille Voorhees. Pendant le reste du roman, Joyce Carol Oates donne la parole tour à tour à Dawn Dunphy et à Naomi Voorhees, les filles des deux protagonistes. C’est à travers elles et leurs histoires que seront analysées les conséquences des actes de leurs pères.

Deux martyrs diamétralement opposés

A priori, les deux personnages principaux de ce roman sont Luther Dunphy et Augustus Voorhees. Le premier a assassiné le deuxième parce que celui-ci pratiquait des avortements. Ces deux personnages représentent bien les deux extrêmes de la question de l’avortement aux États-Unis. Mais sont-ils si extrêmes dans un pays où les pensées les plus extrémistes sont monnaie courante ?

À plusieurs reprises dans Un livre de martyrs américains, les personnages parlent d’une guerre idéologique. D’un côté, il y a les croyants qui considèrent que l’avortement est un péché, un meurtre, qui manifestent devant les centres du planning familial, qui sont prêts à tout pour empêcher les « médecins-avorteurs » de faire leur travail. À tout ? Certains n’hésitent pas à se revendiquer d’une Armée de Dieu, dont ce serait le devoir d’arrêter les médecins.

De l’autre côté, il y a les personnes qui se luttent pour les droits des femmes à disposer de leur corps, les bénévoles qui travaillent dans les centres de Femmes, et les aides-soignantes et les médecins, comme le docteur Voorhees, qui soignent ces femmes. Il y a aussi les personnages comme la femme du docteur, qui se bat juridiquement, à sa manière, dans cette lutte idéologique.

L’assassinat du docteur Voorhees va créer deux martyrs. D’un côté, Luther Dunphy, un martyr au sens chrétien du terme : quelqu’un qui va être enfermé et condamné à mort pour son crime. Pour les évangélistes, il est le martyr de la cause pro-vie, il donne sa vie pour sauver des millions d’enfants « qui ne demandent qu’à naître ».

Et de l’autre, le docteur Voorhees, un homme qui s’est fait assassiner parce qu’il faisait son travail, parce qu’il faisait ce en quoi il croit : aider les femmes. Il est le martyr d’une cause, celui qui est prêt à aller jusqu’au bout pour ce qu’il croit, une victime de l’idéologie dangereuse d’une frange de religieux extrémistes.

« Il y a une guerre aux États-Unis – cette guerre est là depuis toujours. Les rationalistes parmi nous ne peuvent l’emporter, car le penchant américain pour l’irrationalité est plus fort, plus primordial et plus virulent. Comment dit-on déjà … « My country, right or wrong » – « mon pays qu’il ait raison ou tort » – ce patriotisme écœurant et servile. Un patriotisme qui est un Dieu-isme, car ils sont tous chrétiens. Éviter une défaite totale est tout ce que nous pouvons espérer. Il y a quelques poches relativement éclairées à travers le pays – les grandes villes, où la culture et l’intelligence se sont réfugiées. Le reste est un immense désert … « religieux » et « patriotique ». On s’y aventure à ses risques et périls… ils sont si nombreux à être armés ! Et ils dissimulent leurs armes avec eux ! »

Un livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates

Les femmes dans Un livre de martyrs américains

Mais les deux vrais personnages principaux d’Un livre de martyrs américains, ce sont Naomi Voorhees et Dawn Dunphy : les filles des martyrs. L’une a perdu son père, assassiné alors qu’elle était adolescente. L’autre a vécu dans l’ombre du sien, célèbre par son assassinat, jusqu’à son exécution.

Dans Un livre de martyrs américains, c’est finalement la question du deuil et de la reconstruction de ces femmes qui intéresse Joyce Carol Oates. Il y a la femme de Dunphy, dépressive, qui réussira à faire un trait sur les événements en se réfugiant à son tour dans l’extrémisme religieux. Et de l’autre la femme de Voorhees, dépressive et malade elle-aussi, qui va devoir abandonner ses enfants pour espérer se retrouver et s’en sortir.

Mais il y a surtout Naomi et Dawn, les filles qui ont quasiment le même âge. Naomi va passer une bonne partie de sa vie à essayer de rendre hommage à son père, jusqu’à ce qu’un jour, enfin, elle parvienne à se libérer de cette présence qui l’empêche d’avancer. Et D.D. Dunphy va trouver un exutoire dans la boxe, ce qui va de manière imprévisible rapprocher les deux jeunes femmes. Le salut, selon JCO, se trouverait-il dans leur rencontre ?

« Comme la plupart des filles, elle avait été entraînée à sourire dès l’enfance. Sourire à vos aînés, à ceux qui ont autorité sur vous. Sourire quand vous avez peur. Sourire quand vous n’arrivez pas à entendre tout à fait ce qu’on vous dit. Sourire pour vous montrer douce, docile, coopérative, suprêmement bien élevée, « bonne ». Sourire aux hommes. Comme un exercice d’équilibre à la poutre, au cours de gymnastique. Vous vous déplacez avec une concentration et des précautions infinies pour ne pas « perdre » l’équilibre et ne pas vous écraser honteusement sur le plancher du gymnase. »

Un livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates

CE QUE J’EN AI PENSÉ

J’ai dévoré ce livre. C’est un sacré pavé, mais je l’ai lu en quelques jours. Je n’arrivais pas à le reposer, il fallait que je lise la suite. Un livre de martyrs américains est très bien construit et très intelligent. Il n’est pas toujours très facile à lire, évidemment, vu son thème et ses personnages. Mais il est nécessaire. C’est je crois bien l’un des meilleurs livres que j’ai lu qui traite de l’avortement.

Et c’est sans doute parce que ce n’est finalement pas le sujet principal du livre. J’ai l’impression que ce qui intéresse Joyce Carol Oates, c’est surtout la question de nos croyances, de ce qu’on est prêt à faire pour nos idéologies. Et surtout, les conséquences de nos actes sur nos proches : comment les femmes du roman vivent après l’assassinat. Ces deux hommes, qui agissent sur les corps des femmes en fonction de ce qu’ils croient justes, vont mettre les femmes de leur famille dans une épreuve très difficile.

OÙ TROUVER Un livre de Martyrs américains ?

Un livre de martyrs américains a été publié en français aux éditions Philippe Rey. La traduction est de Claude Seban. Vous le trouverez sans doute dans toutes les bonnes librairies.

QUE LIRE APRÈS ?

J’ai très envie de continuer à découvrir l’œuvre de Joyce Carol Oates, et j’ai déjà prévu de lire ensuite Nous étions les Mulvaney.

Si vous chercher d’autres livres qui touchent à la question de l’avortement, je vous conseille les suivants :

  • L’événement, Annie Ernaux
  • Le chœur des femmes, Martin Winckler
  • Une étincelle de vie, Jodi Picoult
  • L’œuvre de Dieu, la part du diable, John Irving
  • Les armoires vides, Annie Ernaux

Un livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates est un livre qui se passe aux États-Unis.

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