POURQUOI LIRE Toute passion abolie ?
- Le livre : c’est un des romans les plus célèbres de l’autrice Vita Sackville-West, peut-être aujourd’hui plus connue hors de Grande-Bretagne, comme l’une des amies et amantes de Virginia Woolf.
- Le décor : l’aristocratie britannique, ses secrets et ses faux-semblants, son faste et ses idées conservatrices.
- Le genre : ce qui m’a le plus surpris dans ce roman, c’est l’humour et l’ironie présents à presque toutes les pages.
- Le style : c’est très bien écrit et ça se lit très vite, pendant toute la lecture on suit les pensées de certains personnages de l’histoire qui nous racontent les événements.
L’histoire
Le livre s’ouvre sur la mort du Vice-Roi des Indes. Sa femme, Lady Slane le veille à l’étage pendant que ses enfants – déjà âgés – la plaignent en bas. Ils s’inquiètent presque tous de ce qu’elle va bien pouvoir faire maintenant que l’homme de sa vie est décédé.
Mais Lady Slane va les surprendre tous en décidant de reprendre sa vie en main à 88 ans. Elle va déménager, couper les ponts et vivre une vie plus solitaire, faisant ce que bon lui semble tous les jours, recevant qui elle veut, se faisant des nouveaux amis, et se remémorant son passé.
Un roman féministe qui fait pendant aux écrits de Virginia Woolf
Le roman Toute passion abolie a été publié en 1931, c’est à dire deux ans après la publication d’Une chambre à soi de Virginia Woolf. Les deux femmes étaient amies et amantes, et leur travail a été influencé par l’une l’autre.
Et je pense que Toute passion abolie est un très bon exemple de cette influence réciproque. On y retrouve des thèmes chers à Virginia Woolf à la même époque (ce que c’est que d’être une femme, de grandir et vieillir en tant que femme notamment). Certaines des réflexions de Lady Slane sont très proches de celles de certains personnages féminins qu’on trouve dans Les Vagues de Virginia Woolf (publié en 1931). Les deux femmes ont dû elles-mêmes discuter ensemble de ces sujets, ce qui expliquerait qu’on retrouve les mêmes centres d’intérêt chez leurs personnages.
Mais surtout, je trouve que dans la forme également il y a des similitudes entre Toute passion abolie de Vita Sackville-West et Les vagues de Virginia Woolf. Toutes deux aiment laisser libre court aux pensées de leurs personnages. Dans la première partie de Toute passion abolie, on lit tour à tour les pensées des enfants de Lady Slane, sans qu’il soit toujours très clair qui pense quoi, ou qui pense qui sur quoi. Un procédé qu’on retrouve dans Les vagues.
« Comment allait-elle remplir sa tâche, Deborah n’en savait encore rien. Elle se sentait complètement indifférente à tout ce bruit fait autour de son bonheur futur. Était-elle même amoureuse d’Henry ? Et même si elle l’était, pourquoi aurait-elle renoncé à sa vie personnelle ? Henry, lui, l’aimait, mais qui aurait osé suggérer que cela impliquât qu’il renonçât à la vie qui était la sienne ! Au contraire, en faisant l’acquisition de son épouse, il semblait ainsi ajouter un extra à sa carrière. »
Toute passion abolie, Vita Sackville-West
La deuxième partie de Toute passion abolie est pour moi comme la mise en scène romanesque d’Une chambre à soi. Dans cette partie, Lady Slane se remémore sa vie, depuis les rêves de l’adolescence jusqu’à la mort de son époux, en passant par la demande en mariage et la naissance de ses enfants. Les réflexions de Lady Slane dans cette partie – qui ne se considère pas elle-même comme une féministe – sont pourtant quasiment toutes identiques à celles de la narratrice d’Une chambre à soi.
On trouve également dans Toute passion abolie ce qui semble être un clin d’œil au personnage d’Orlando dans le livre de Virginia Woolf publié en 1928, dont on dit qu’il fut inspiré à l’autrice par Vita Sackville-West :
« Car les rêves qui couraient derrière cette façade délicate et juvénile étaient d’une audace telle que seul un jeune homme emporté aurait pu les imaginer. C’étaient des projets de fuite, de déguisement, de nom transformé, de sexe travesti, de liberté dans un pays étranger, véritables rêves d’un aventurier près à se lancer sur les mers. »
Toute passion abolie, Vita Sackville-West
Un livre drôle et mordant sur la famille et le patriarcat
Je l’ai dit plus haut, l’autre force de ce livre pour moi c’est son humour. Parce qu’on a accès aux pensées de tous les personnages, on a accès à ce qu’ils pensent des autres autour sans se permettre de le leur dire. Et à ce niveau là, Lady Slane et sa fille Edith, sont très fortes.
Alors que tout le monde se moque d’elle ouvertement, Edith ne dit rien mais n’en pense pas moins. Dans la première partie du livre, elle passe au crible les défauts de son père défunt, de sa mère qui le veille et de tous ses frères et sœurs (avares et faux selon elle). Chacun en prend pour son grade et c’est délicieux d’ironie mordante.
« Carrie trouva cependant un grand réconfort dans d’inlassables conversations avec les siens à propos de sa mère, ce qui d’ailleurs accrut leur solidarité. Ils aimaient se réunir autour d’un thé – c’était leur repas préféré, sans doute parce qu’il ne coûtait pas cher – pour y redire sans cesse les mêmes choses, parfois même dans des thèmes identiques. Tous s’écoutaient parler sans qu’aucun d’entre eux se lasse, donnant ainsi l’impression qu’à chaque fois ils apprenaient une nouvelle inédite. C’était cette répétition même qui rassurait Carrie et les siens : ce que l’on répète avec tant d’insistance ne finit-il pas par avoir l’air vraisemblable ? »
Toute passion abolie, Vita Sackville-West
Dans la dernière partie du livre, les enfants de Lady Slane sont outragés par ses décisions successives et le lui font bien comprendre. Mais elle tient bon. Plutôt que de leur répondre, elle se met alors elle aussi à les juger à tour de rôle, et c’est là encore très drôle. Ce que moque Lady Slane, c’est surtout la fausseté de ses enfants, leur soif de pouvoir et d’argent. Les seuls qui sont épargnés sont Edith et Kay.
À travers les personnages d’Edith et de Lady Slane, Vita Sackville-West nous donne à lire un portrait au vitriol de la haute société anglaise de l’époque, entre hypocrisie et obsession des conventions.
Chose desquelles, depuis la mort de son mari, elle peut enfin se détacher. Et c’est pourquoi elle opte pour cette nouvelle vie dans sa petite maison, sans recevoir d’autres visites que celles du propriétaire, de l’artisan qui y fait des travaux et de son nouvel ami, FitzGeorge.
CE QUE J’EN AI PENSÉ
C’est une petite merveille ! Je n’attendais pas grand chose de ce roman, je voulais seulement découvrir l’autrice – célèbre notamment pour sa liaison avec Virginia Woolf – et c’est un peu par hasard que j’ai trouvé ce livre. Je ne regrette pas du tout de l’avoir trouvé, parce que dès les premières pages, j’ai été conquis par l’humour de l’autrice et cette peinture mordante de la haute société anglaise.
J’ai pris énormément de plaisir à lire ce court roman, mais surtout je dois dire que la deuxième partie est un véritable chef-d’œuvre ! Condensée en si peu de pages, on y trouve la mise en scène en littérature des idées développées par Virginia Woolf dans Une chambre à soi.
OÙ TROUVER LE LIVRE Toute passion abolie ?
J’ai lu Toute passion abolie de Vita Sackville-West dans son édition de poche chez Le livre de poche. La traduction est de Micha Venaille. Vous trouverez peut-être ce livre dans une librairie près de chez vous.
Que lire après ?
J’ai très envie de continuer à découvrir l’œuvre de Vita Sackville-West. Je pense donc lire un autre de ses romans les plus célèbre : Au temps du roi Édouard.
Mais je suis aussi curieux d’en apprendre plus sur sa relation avec Virginia Woolf. J’aimerais lire leur Correspondance 1923-1941, publiée chez Stock. J’ai également lu que Vita Sackville-West aurait inspiré à Virginia Woolf le personnage d’Orlando dans le roman éponyme, ce qui me donne encore plus envie de le lire.
Et si vous n’avez pas encore lu ces livres, je vous conseille Une chambre à soi et Les vagues de Virginia Woolf, pour les similitudes qu’on trouve autant dans les thèmes que dans le style avec Toute passion abolie.
Toute passion abolie, Vita Sackville-West est un livre qui se passe en Angleterre, en Grande-Bretagne.