POURQUOI LIRE Les mauvais anges ?
- Le livre : Les mauvais anges est le premier roman d’Eric Jourdan, qui avait 16 ans lorsqu’il l’écrivit
- Le décor : des vacances d’été en bord de Loire et quelques flashbacks parisiens constituent le décor de cette tragédie
- Le genre : le roman est divisé en deux parties, comme deux longs monologues où les deux narrateurs se répondent
- Le style : comme tous les romans qui dépeignent des histoires d’amour avec des adolescents c’est passionnel et absolu, sentimental et grandiloquent
L’HISTOIRE
Pierre et Gérard sont cousins. Ils ont tous les deux perdu leur mère, et ils passent un été avec leur père respectif sur les bords de la Loire, pour que Pierre puisse aider Gérard à réviser. Celui-ci a échoué à ses examens et doit donc repasser le bac en septembre. Mais, alors qu’ils passent plus de temps à se baigner et à bronzer au soleil qu’à réviser, le premier baiser est échangé. C’est le début d’une histoire d’amour aussi passionnelle que violente et dont on comprend rapidement qu’elle finira mal : leur famille et les voisins vont se dresser contre eux et ils seront prêts à aller jusqu’au bout pour rester ensemble.
L’absolutisme de l’adolescence
Je suis passé par de nombreuses émotions différentes à la lecture. J’ai d’abord été charmé par la vérité de l’écriture. Eric Jourdan – sans doute parce qu’il était lui-même si jeune quand il a écrit Les mauvais anges – rend compte à la perfection de l’état d’esprit de Pierre et Gérard. Ceux-ci sont insupportables d’adolescence : tout est absolu pour eux. Leur amour, leurs craintes de ne plus être aimés, la révolte contre les pères, la guerre contre les voisins… Il n’y a peut-être que Flaubert dans L’éducation sentimentale avant lui qui avait réussi à mieux dépeindre un jeune homme amoureux, qui nous fait tour à tour sourire ou lever les yeux au ciel pendant toute la lecture.
Sans doute parce que je retrouve un peu l’adolescent que j’ai été dans ce genre de personnages, j’ai d’habitude du mal avec ces jeunes hommes absolus en littérature. Mais il y a ce je ne sais quoi chez Pierre et Gérard qui me les rend sympathiques. Déjà ils sont homosexuels, ce qui est évidemment un bon point. Mais ils sont aussi à la fois révoltés et timides, confiants et vulnérables, des romantiques qui jouent les durs. Et c’est touchant.
« J’aime le provoquer jusqu’aux larmes par une indifférence dont je joue en maître, et l’instant d’après je fais tout pour qu’il oublie une conduite qu’il me pardonne toujours pour la dernière fois. Je me venge ainsi de mon amour, car je déteste celui que j’aime, me sentant l’esclave et le maître à la fois, et par là doublement livré aux inconstances d’un pouvoir et d’une soumission fragiles. J’aime Pierre plus qu’on ne pourra jamais l’aimer. J’ai beau être en révolte, céder à des impulsions de vandale, il arrive un moment où tout est vain contre l’amour. »
Les mauvais anges, Éric Jourdan
Sensualité et violence
Je dois bien l’avouer puisqu’il s’agit d’un roman publié chez une maison d’édition spécialisée dans les livres érotiques :je n’ai pas été insensible à la sensualité qui se dégage du roman. Une tension sexuelle va crescendo tout le long du récit. C’est sans doute parce que la plupart des scènes de sexe ne sont pas explicites. Il faut attendre la moitié du récit de Gérard pour qu’enfin cette tension explose, dans une scène étrange, ambigüe mais au combien excitante. Cette explosion de la jouissance s’accompagne d’une explosion de la violence.
On retrouve dans Les mauvais anges le thème de la violence associée au sexe, les liens entre jouissance et douleur, chers à Mishima dans certains de ses textes. C’est une analogie qui personnellement me met souvent mal à l’aise. Entre désir et répulsion. Et Eric Jourdan abuse de la violence dans ce roman, elle est omniprésente : la violence des pères, des voisins, de Pierre et Gérard sur les animaux, sur le corps de leur amant… j’ai parfois été révulsé. Mais en même temps, la violence ici n’est pas gratuite, elle appuie le propos, elle est même le dénouement du récit.
« Nous avions un jeu aux règles insensées dont l’unique but était d’asservir l’autre et d’en faire physiquement ce qu’on voulait. C’était un jeu qui excusait tout. Le parc devenait un territoire où il fallait capturer l’adversaire, car nous étions ennemis, par la ruse. Cette fois, j’agis comme si c’était ce jeu. Avant qu’il se fût défendu, je lui liai les poignets, les attachai à un clou rouillé où l’on accrochait de vieilles selles, et tout à coup je le battis. J’avais détaché ma ceinture et tenais à lui meurtrir les fesses. Que de trouble jalousie dans ce goût de lui faire mal où je l’admirais le plus. »
LES MAUVAIS ANGES, ÉRIC JOURDAN
CE QUE J’EN AI PENSÉ
Après quelques jours de réflexion, je pense finalement garder un bon souvenir de cette lecture. Les mauvais anges m’a surpris, m’a fait réagir, m’a un peu interloqué ou gêné parfois. Et c’est bien : au moins j’ai ressenti des choses. Il m’a fait réfléchir. C’est brut, c’est souvent too much pour moi, mais c’est aussi très bien écrit, avec des fulgurances magnifiques (la scène de sexe avec le voisin est un petit bijou).
Je pense sincèrement que si j’avais pu le lire adolescent, j’aurais sans doute été complètement subjugué par cette lecture. Si seulement j’en avais entendu parler avant ! Mais je me dis aussi que peut-être que si je le relisais dans quelques années, je retiendrai autre chose de cette lecture que le caractère insupportable de Pierre et Gérard, et la violence omniprésente du récit. Connaissant désormais l’histoire et les personnages, je pourrais peut-être mieux profiter de la beauté de l’écriture.
OÙ TROUVER Les mauvais anges ?
Les mauvais anges a été republié en 2001 chez La Musardine, puis en 2011 en poche. Vous le trouverez peut-être dans une librairie près de chez vous.
QUE LIRE APRÈS ?
Par sa construction en deux parties consacrées chacune à l’un des deux personnages, à la tragédie qu’on sent poindre dès le début, Les mauvais anges m’a un peu fait penser au Corps des anges de Mathieu Riboulet, lu peu de temps auparavant.
Dans son absolutisme et les thèmes de la violence, de la révolte face à la société et la famille, par son issue tragique et sa grandiloquence, le livre m’a également fait penser mouvement littéraire allemand Sturm und Drang et notamment aux Souffrances du jeune Werther de Goethe.
Les mauvais anges, Éric Jourdan est un livre qui se passe en France.