POURQUOI LIRE Moi, Tituba Sorcière… ?
- Le livre : a pour titre complet Moi, Tituba sorcière… noire de Salem. Ce qui en dit davantage sur l’histoire qui nous est racontée.
- Le décor : c’est tout d’abord l’île de la Barbade, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, puis la communauté puritaine du comté de Salem, aux États-Unis.
- Le genre : mélangeant histoire et fiction, Maryse Condé imagine la vie et redonne sa voix à Tituba, dont on ne sait quasiment rien.
- Le style : l’écriture de l’autrice est très poétique, tout en restant très fluide et facile à suivre.
L’HISTOIRE
L’histoire du livre Moi, Tituba sorcière… est inspirée du personnage Tituba, qui a réellement existé, et qui a eu un rôle dans les affaires de sorcellerie de Salem. On ne sait pas grand chose de Tituba (et les historien·nes ne sont pas d’accord sur sa vie et ses origines), mais Maryse Condé la fait parler, lui fait raconter sa propre histoire. Et je trouve cette démarche très intéressante.
Alors on va suivre Tituba, de sa naissance et son enfance à la Barbade, où elle est fille d’esclave, jusqu’à son retour sur l’île après les événements de Salem. Un fil directeur pendant tout le récit : la façon dont tout le monde l’a toujours considérée comme une sorcière.
Le récit de Tituba commence ainsi :
« Abena, ma mère, un marin anglais la viola sur le pont du Christ the King, un jour de 16** alors que le navire faisait voile vers la Barbade. C’est de cette agression que je suis née. De cet acte de haine et de mépris. »
Moi, tituba sorcière… Maryse Condé
Sorcière : des plantes et remèdes aux sorts et au diable
Tituba est une sorcière aux yeux des autres, mais pour deux raisons différentes.
À la Barbade, et aux yeux des Noirs en général, pour la plupart esclaves ou esclaves marrons, Tituba est une sorcière parce que Man Yaya, guérisseuse, lui a appris les plantes. On trouve d’ailleurs de nombreuses descriptions de plantes, d’abord de la Barbade, puis du Massachusetts, et de leur utilisation pour les remèdes et les sorts. Ces descriptions sont très belles et m’ont beaucoup intéressé. Elle connaît donc tous les remèdes et ses pouvoirs lui servent à faire le bien, c’est à dire à soigner les gens. Elle peut aussi parler avec les morts, « les Invisibles », et les faire venir à elle pour l’aider.
Mais pour les Blancs, colons et Puritains, Tituba est une sorcière parce qu’elle est l’incarnation du mal, du diable. À leurs yeux, rien que sa couleur de peau l’indique. Mais ses actions le prouvent. À Salem, elle est accusée de sorcellerie parce que des fillettes racontent qu’elle leur a jeté un sort. Alors qu’elle n’a rien fait d’autre que d’essayer de soigner l’une de ces filles, Tituba se retrouve prise au piège : elle ne peut pas expliquer ce qu’elle a fait, parce que ce serait admettre qu’elle est une sorcière.
« Man Yaya m’apprit les plantes.
Celles qui donnent le sommeil. Celles qui guérissent plaies et ulcères.
Celles qui font avouer les voleurs.
Celles qui calment les épileptiques et les plongent dans un bienheureux repos. Celles qui mettent sur les lèvres des furieux, des désespérés et des suicidaires des paroles d’espoir.
Man Yaya m’apprit à écouter le vent quand il se lève et mesure ses forces au-dessus des cases qu’il se prépare à broyer.
Man Yaya m’apprit la mer. Les montagnes et les mornes.
Elle m’apprit que tout vit, tout a une âme, un souffle. Que tout doit être respecté. Que l’homme n’est pas un maître parcourant à cheval son royaume. »
Moi, Tituba Sorcière… Maryse Condé
Tituba, une femme noire
Elle n’est pas la seule accusée. D’autres femmes, blanches, mais pauvres et qui effraient les enfants, sont accusées avec elle. C’est la caractéristique même des sorcières : elles sont accusées parce qu’elles sont femmes. Être femme pour Tituba, ça veut aussi dire être fille d’une femme violée sur le bateau l’amenant sur la Barbade, ça veut dire avoir dû avorter seule pour ne pas mettre au monde un enfant dans ce monde. Ça veut aussi dire tomber amoureuse d’un homme contre lequel on l’avait pourtant mise en garde. Parce que Tituba aime trop l’amour.
Mais Tituba ne souffre pas seulement de sa condition de femme dans un monde où, au XVIIe siècle, toutes les femmes sont sous le joug d’un homme (y compris Maîtresse Parris). Tituba est une femme noire. Et elle-même parle de cette situation, compare sa propre vie de celle de son compagnon John Indien. Et avec ses mots à elle, elle parle du racisme dont elle est l’objet, mais également du sexisme à l’œuvre :
« — Laisse-moi la paix avec ton triste sire ! Il ne vaut pas mieux que le mien. Est-ce qu’il ne devrait pas être là à partager ton angoisse ? Blancs ou noirs, la vie sert trop bien les hommes !
J’évitais de parler à Hester de John Indien, car je savais trop ce qu’elle m’en dirait et n’envisageais pas de le supporter.
Cependant, au fond de moi-même quelque chose me soufflait qu’elle disait vrai. La couleur de la peau de John Indien ne lui avait pas causé la moitié des déboires que la mienne avait causée. »
Moi, Tituba Sorcière… Maryse Condé
CE QUE J’EN AI PENSÉ
J’ai pris énormément de plaisir à lire ce livre. L’histoire est loin d’être joyeuse, et certains passages sont si révoltants. Mais l’écriture de Maryse Condé fait de cette histoire difficile à lire, un livre qu’on ne peut plus lâcher. Le parti pris de faire parler Tituba, de la faire raconter son histoire joue également beaucoup. Ce sont ses réflexions à elle, ses mots à elle, que nous lisons. Et son point de vue sur les choses et les gens fait sans doute que nous nous attachions à certains personnages, avec leurs qualités et leurs défauts.
OÙ TROUVER LE LIVRE Moi, Tituba Sorcière… ?
J’ai lu Moi, Tituba sorcière… de Maryse Condé dans son édition de poche chez Folio. Vous n’aurez sans doute aucun mal à trouver ce livre dans une librairie près de chez vous.
QUE LIRE APRÈS ?
Ce livre m’a tellement plu qu’il m’a donné envie de lire d’autres livres de Maryse Condé. J’ai déjà noté Segou et Traversée de la Mangrove qui me font très envie.
Et parce que je me rends compte de mon inculture, j’ai également très envie de lire enfin d’autres grands livres écrits par des femmes noires, à commencer par :
- Une si longue lettre, Mariama Bâ
- Beloved, Toni Morrison et L’œil le plus bleu
- Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston
- et plus récemment L’hibiscus pourpre, de Chimamanda Ngozi Achidie
Moi, Tituba sorcière… Maryse Condé est un livre qui se passe à la Barbade, aux États-Unis.
Yeghiazaryan Inga 18 / 06 / 2023
J’ai adoré l’article! Merci beaucoup!