Les Dépossédés, Ursula K. Le Guin

Les Dépossédés est un livre de science-fiction, écrit par Ursula K. Le Guin en 1974. On y suit Shevek, un physicien quittant Anarres pour Urras. Sur sa planète d'origine, rude et pauvre, vivent des colons anarchistes qui ont quitté Urras 170 ans plus tôt. Sur cette dernière, planète verdoyante mais capitaliste, pourra-t-il écrire sa théorie révolutionnaire ? Va-t-il se retrouver face à un autre mur ? C'est pointu, drôle, poétique et si intelligent !

POURQUOI LIRE Les Dépossédés ?

  • Le livre : c’est l’un des livres les plus célèbres d’Ursula K. Le Guin. Comme La main gauche de la nuit, il fait partie du cycle de l’Ekumen, mais les deux peuvent être lus indépendamment.
  • Le décor : les planètes Anarres et Urras, deux planètes cétiennes très proches mais très différentes l’une de l’autre.
  • Le genre : c’est de la science-fiction à la Ursula K. Le Guin, c’est à dire que le plus important ici, ce ne sont pas les vaisseaux et les conquêtes spatiales, mais l’anthropologie et les sciences politiques.
  • Le style : comme toujours avec l’auteure, c’est magnifique. Son écriture, très poétique, me touche énormément.

L’HISTOIRE

Les chapitres alternent deux temps différents du récit. Les chapitres impairs décrivent l’arrivée de Shevek, un physicien, sur la planète Urras, qui fonctionne sur un système économique capitaliste et dont les paysages et les villes ressemblent à ce qu’on connaît sur Terre. Les chapitres pairs nous racontent sa vie sur Anarres avant son départ, une planète aride et pauvre, habitée par des colons anarchistes partis d’Urras 170 ans auparavant.

L’autre et la différence

Shevek, un Arresti, se rend sur Urras. Il y fait l’expérience de l’autre. Les habitants d’Urras sont différents physiquement (ils sont plus petits, les femmes s’y rasent le crâne), ils parlent une autre langue, mais surtout ils vivent différemment.

Shevek – un homme qui a pourtant beaucoup voyagé sur sa propre planète, qui s’est frotté à des personnes différentes de lui, qui a dû se battre pour ses idées – se trouve face à un nouvel inconnu. Sur Anarres, il s’était parfois trouvé face à un mur, un mur dogmatique. Il a entrepris un voyage sur la planète voisine pour essayer de faire tomber les murs et rapprocher les deux peuples voisins, cousins.

Mais sur Urras, il découvre ce que le capitalisme fait aux humains. Il voit les corps abîmés, les corps pauvres et les corps repus des profiteurs. Il voit surtout ce que l’argent fait aux visages des gens.

« They all looked to him, anxious. He had often seen that anxiety before in the faces of Urrasti, and wondered about it. Was it because, no matter how much money they had, they always had to worry about making more, lest they die poor? Was it guilt, because no matter how little money they had, there was always somebody who had less? Whatever the cause, it gave all the faces a certain sameness, and he felt very much alone among them. »

Les Dépossédés, Ursula K. Le Guin

Sociétés humaines & politique

Dans ce roman de sf, il y a cette dimension anthropologique qu’on retrouve dans d’autres écrits d’Ursula K. Le Guin. L’autrice s’interroge sur nos sociétés et la façon dont nous y vivons. Comparer ces deux cultures, c’est l’occasion d’interroger notre vision du monde.

Et notre vision politique. Anarres est une planète anarchiste. Ses habitants sont des descendants d’Urrastis qui ont quitté leur planète afin de créer cette utopie sur une autre. Et les chapitres sur la planète anarchiste sont très intéressants sur la façon dont l’auteure imagine et nous donne à lire un tel monde. Comment les gens vivraient-ils ensemble ? Quels problèmes rencontreraient-ils ?

Les Dépossédés est à ma connaissance le seul ouvrage de science-fiction dans lequel vivent des anarchistes. Le seul livre qui pose des questions sur les côtés pratiques d’une vie, d’une société anarchiste. De la question du travail aux libertés individuelles, en passant par les conséquences sur les mœurs et le langage, Ursula K. Le Guin ne laisse rien de côté. Mais ce n’est pas théorique pour autant. La plupart des concepts sont introduits par des exemples ou dans les dialogues. C’est si intelligent !

« — Je ne sais pas, dit-il ; sa langue était à moitié paralysée. Non. Ce n’est pas merveilleux. C’est un monde laid. Pas comme celui-ci. Sur Anarres, il n’y a que de la poussière et des collines desséchées. Tout est maigre, tout est sec. Et les gens ne sont pas beaux. Ils ont de grosses mains et de grands pieds, comme moi et ce serveur qui est ici. Mais pas de gros ventre. Ils se salissent beaucoup, et prennent leurs bains ensemble, personne ne fait cela ici. Les villes sont ternes, et très petites, elles sont lugubres. Il n’y a pas de palais. La vie est morne, et le travail est dur. On ne peut pas toujours obtenir ce qu’on veut, ni ce dont on a besoin, parce qu’il n’y en a pas assez. Vous autres Urrastis, vous en avez suffisamment. Vous avez assez d’air, assez de pluie, d’herbe, d’océans, de nourriture, de musique, de maisons, d’usines, de machines, de livres, de vêtements, d’histoire. Vous êtes riches, vous possédez. Nous sommes pauvres, il nous manque beaucoup. Vous avez, nous n’avons pas. Tout est beau ici. Sauf les visages. Sur Anarres, rien n’est beau, rien, sauf les visages. Les autres visages, les hommes et les femmes. Nous n’avons que cela, nous autres. Ici on regarde les bijoux, là-haut, on regarde les yeux. Et dans les yeux, on voit la splendeur, la splendeur de l’esprit humain. Parce que nos hommes et nos femmes sont libres. Et vous les possédants, vous êtes possédés. Vous êtes tous en prison. Chacun est seul, solitaire, avec un tas de choses qu’il possède. Vous vivez en prison, et vous mourrez en prison. C’est tout ce que je peux voir dans vos yeux – le mur, le mur ! »

Les Dépossédés, Ursula K. Le Guin

CE QUE J’EN AI PENSÉ

J’ai pris énormément de plaisir à lire ce livre. Comme dans beaucoup de romans de science-fiction d’Ursula K. Le Guin, j’ai été amené à réfléchir en lisant cette histoire. L’auteure semble s’interroger : une société anarchiste est-elle viable ? Quels en seraient les problèmes ? Qu’arriverait-il si des membres de cette société étaient en contact avec une société capitaliste ? C’est passionnant !

Mais c’est également très bien écrit ! Comme dans les autres livres du cycle de l’Ekumen, une partie de la réflexion porte sur le langage et la communication (la recherche du physicien Shevek porte sur un système qui permettrait des communications facilitées entre les différentes planètes). Les habitants d’Anarres ont inventé leur propre langage au moment de leur exil, et Le Guin a inventé des mots qui sont parsemés dans le texte. Je trouve cette idée géniale !

OÙ TROUVER Les Dépossédés ?

J’ai lu Les Dépossédés en anglais (The Dispossessed), mais vous le trouverez facilement en français dans les librairies vendant des ouvrages de science-fiction. Chez Le livre de poche, la traduction est de Henri-Luc Planchat.

QUE LIRE APRÈS ?

Je ne connais qu’un seul autre livre de science-fiction traitant de l’anarchisme : La Zone du dehors, Alain Damasio. Et je vous le recommande également, il est très bon aussi, même si les deux romans sont très différents.

Si vous voulez plutôt continuer à découvrir l’œuvre d’Ursula K. Le Guin, je vous conseille les ouvrages suivants :

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